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se rendant au théâtre, un des malheureux que l'on avait enchaînés à la porte de l'arène. Destiné à être traîné devant l'empereur, il se lamentait sur son sort. L'autre s'approcha de lui, et lui parlant bas à l'oreille : « Ami, lui dit-il, prie le Ciel que tu passes cette journée, et demain tu me remercieras. » Le condamné avait saisi l'allusion. Pensant que

« Fol est pour l'incertain qui lâche le certain »,

il préféra le moyen de se sauver qui était le plus sûr à celui qui aurait été le plus légitime. Il révéla ce propos à Néron.

L'homme fut arrêté sur-le-champ ; et les tortures, le feu, les fouets l'obligèrent à confesser ce qu'il avait une première fois révélé sans y être contraint.

[8] Le philosophe Zénon, au contraire, craignant que malgré lui quelqu'un de ses secrets ne lui fût arraché par la douleur corporelle, se coupa la langue avec les dents et la cracha au visage de Néarque. Leaena fit également preuve d'une constance qui a été magnifiquement récompensée.

Amie d'Harmodius et d'Aristogiton, elle s'était associée à leurs espérances et à la conjuration organisée par eux contre le tyran. Mais ce n'était que comme femme, parce qu'elle s'était enivrée à cette coupe délicieuse de l'Amour. C'était sous les auspices de ce dieu qu'elle avait été initiée à de tels secrets. Ses amis échouèrent, et furent mis à mort. Interrogée à son tour et sommée de dire le nom des conspirateurs encore inconnus, elle garda le silence avec la plus grande fermeté. Elle fit voir que des hommes n'avaient rien fait qui fût indigne d'eux en aimant une telle femme. Les Athéniens voulurent que l'on coulât en bronze une lionne qui n'aurait pas de langue, et qu'on plaçât ce bronze aux portes de l'Acropole. Le fier courage de la bête indiquait la fermeté invincible de Leaena, et l'absence de langue figurait son silence et sa discrétion.

Jamais l'émission d'un seul propos ne fut aussi utile que la réserve de beaucoup d'autres paroles discrètement gardées.