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eux-mêmes : leur esprit se recueille et se concentre sur ses propres pensées. De cette manière le bavard n'est pas plus écouté qu'on ne croit à ce qu'il dit. Car comme l'on tient pour assuré que la semence de ceux qui se rapprochent trop souvent des femmes n'a pas de vertu générative, ainsi le parler de ces grands babillards est stérile et ne porte point de fruit.

[3] Et pourtant, il n'est pas un organe de notre corps que la nature ait maîtrisé par un aussi solide rempart que la langue. En avant de la langue sont placées les dents, destinées à retenir son intempérance en la mordant au besoin jusqu'au sang si elle ne sait pas se dominer et si elle n'obéit pas à la raison qui

« La retient au dedans par le frein du silence. »

Car si la suppression de tous freins amène des malheurs, c'est quand il s'agit, non pas de finances ou de maisons à diriger, mais, comme dit Euripide, de langues à contenir.

On regarderait comme entièrement inutiles à leurs propriétaires des habitations qui n'auraient pas de portes, des coffres-forts qui seraient dénués de leurs serrures ; et cependant à ses paroles on ne met ni porte, ni serrure. On les laisse constamment se répandre au dehors comme les flots de la mer. Ces gens-là jugent, sans doute, que la parole est ce qu'il y a de plus vil au monde. Voilà pourquoi ils n'obtiennent jamais cette confiance que tout discours sollicite.

Le but spécial de la parole c'est d'inspirer croyance à qui l'entend. Or on ne croit jamais le bavard, même lorsqu'il dit la vérité. Comme le blé renfermé dans des vases s'y retrouve augmenté de volume, mais qu'il est moins bon pour l'usage ; de même, dans la bouche d'un bavard la parole s'amplifie grandement par le mensonge, mais elle perd aussi toute force de persuasion.

[4] Allons plus loin. L'ivresse est un défaut contre lequel