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— Non, assurément.

— Et s’il ne l’aime pas, il n’est pas ami.

— Il ne me paraît pas.

— Comment donc admettre que les bons puissent aucunement être amis des bons, si, séparés, ils ne se désirent pas les uns les autres, puisqu’ils se suffisent à eux-mêmes même dans l’isolement, et si, réunis, ils n’ont aucun besoin les uns des autres ? et le moyen que de telles gens s’estiment les uns les autres ?

— Impossible, dit-il.

— Mais ils ne sauraient être amis, s’ils ne s’estiment pas les uns les autres ?

— C’est vrai.

XII. — Vois, Lysis, comme nous nous sommes fourvoyés ; ne penses-tu pas que nous nous sommes trompés du tout au tout ?

— Comment cela ? dit-il.

— J’ai entendu quelqu’un dire un jour — c’est un souvenir qui me revient — que le semblable est le plus grand ennemi du semblable et les gens de bien des gens de bien ; il en appelait au témoignage d’Hésiode, dont il citait ce passage :

« Le potier envie le potier, le chanteur le chanteur, le mendiant le mendiant. »

Il affirmait qu’il en était nécessairement ainsi en toutes choses et que les êtres les plus semblables sont les plus remplis d’envie, d’hostilité et de haine les uns à l’égard des autres, et les êtres les plus dissemblables les plus remplis d’amitié réciproque, qu’ainsi le pauvre est forcément l’ami du riche et le faible du fort, à cause du secours qu’ils en attendent, comme le malade l’est du médecin, comme aussi l’ignorant recherche et aime le savant ; puis, haussant le ton, il poursuivait en disant qu’il s’en faut du tout que le semblable soit ami du semblable, et que c’est précisément le contraire qui est vrai et que c’est les êtres les plus opposés qui sont les plus amis ; car chacun désire son contraire, et non pas son semblable ; c’est ainsi que le sec désire l’humide, le froid