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enchaînait constamment l’impétuosité, et qui mordaient leur sabre, en frémissant de voir que leur proie leur échappait. L’armée prussienne, ravagée par la maladie et par la disette, a été sauvée ; elle a été ravitaillée, traitée avec une générosité qui contraste avec les cruauté dont nos braves défenseurs ont été les victimes ; Dumouriez a parlementé, a traité avec le roi de Prusse, dans le moment où la France et l’armée s’attendaient à voir la puissance et l’armée de ce despote ensevelies à la fois dans les plaines de la Champagne ou de la Lorraine, où Dumouriez avait annoncé lui-même dans ses lettres à l’Assemblée nationale, que les ennemis ne pouvaient lui échapper. Il se montra aussi complaisant et aussi respectueux pour le roi de Prusse, qu’il fut depuis insolent avec la Convention nationale. Il est au moins douteux s’il a rendu plus de services à la république qu’aux Prussiens et aux émigrés. Au lieu de terminer la guerre et d’affermir la révolution en exterminant cette armée dont nos ennemis n’auraient jamais pu réparer la perte[1] ; au lieu de se joindre aux autres généraux pour pousser nos conquêtes jusqu’au Rhin, il revient à Paris ; et, après avoir vécu quelque temps dans une étroite intimité avec les coriphées de la faction, il part pour la Belgique.

Il débute par un succès brillant, nécessaire pour lui donner la confiance que sa conduite avec les Prussiens était loin de lui avoir assurée ; et quiconque rapprochera de ce qui se passe aujourd’hui, la brusque témérité qui acheta la victoire de Jemmapes par le sacrifice de tant de Français républicains, concevra facilement que ce succès même était plus favorable au despotisme qu’à la liberté. Dumouriez était maître de la Belgique ; si, dès ce moment, il avait aussi-tôt envahi la Hollande, la conquête de ce pays était certaine ; nous étions maître de la flotte hollandaise ; les richesses de ce pays se confondaient avec les nôtres, et sa puissance ajoutée à celle de la France ; le gouvernement anglais était perdu, et la révolution de l’Europe était assurée[2]. On a dit, et je l’ai cru moi-même un instant sur ces ouï-dires, que tel était le projet de Dumouriez ; qu’il avait été arrêté parle Conseil exécutif ; mais il est démontré que ce bruit n’était qu’une nouvelle imposture répandue par la faction. En effet, si, comme on l’a dit, Dumouriez avait conçu ce grand dessein, s’il y attachait sa gloire et sa fortune, pourquoi n’a-t-il pas réclamé l’appui de l’opinion publique contre les oppositions perfides du Conseil exécutif ? Pourquoi n’a-t-il pas invoqué la nation elle-même contre les intrigues qui compromettaient son salut ? Il est bien naturel de penser que ce bruit n’avait été répandu par les ennemis de Dumouriez, que pour lui concilier la confiance. On sait assez que les chefs de cette faction

  1. Cf. A. Chuquet, La retraite de Brunswick.
  2. Cf. A. Chuquet, Jemmapes et la conquête de la Belgique.