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au gouvernement anglais, il convient à Pitt, l’âme de toute cette ligue ; il convient à tous les ambitieux ; il plaît à tous les aristocrates bourgeois, qui ont horreur de l’égalité, à qui l’on a fait peur même pour leurs propriétés ; il plaît même aux nobles, trop heureux de trouver dans la représentation aristocratique & dans la cour d’un nouveau roi, les distinctions orgueilleuses qui leur échappaient. La Révolution ne convient qu’au peuple, aux hommes de toutes les conditions qui ont une âme pure & élevée, aux philosophes amis de l’humanité, aux sans-culottes, qui se sont, en France, parés avec fierté de ce titre, dont Lafayette & l’audacieuse cour voulaient les flétrir, comme les républicains de Hollande s’emparèrent de celui de gueux, que le duc d’Albe, leur avait donné.[1]

Le système aristocratique, dont je parle, était celui de Lafayette & de tous ses pareils, connus sous le nom de feuillans, & de modérés ; il a été continué par ceux qui ont succédé à sa puissance. Quelques personnages ont changé, mais le but est semblable ; les moyens sont les mêmes, avec cette différence, que les continuateurs ont augmenté leurs ressources, & accru le nombre de leurs partisans.

Tous les ambitieux qui ont paru jusqu’ici sur le théâtre de la Révolution ont eu cela de commun, qu’ils ont défendu les droits du peuple, aussi long-temps qu’ils ont cru en avoir besoin. Tous l’ont regardé comme un stupide troupeau, destiné à être conduit par le plus habile ou par le plus fort. Tous ont regardé les assemblées représentatives comme des corps composés d’hommes ou cupides, ou crédules, qu’il fallait corrompre ou tromper, pour les faire servir à leurs projets criminels. Tous se sont servis des société populaires contre la cour, & dès le moment où ils eurent fait leur pacte avec elle, ou qu’ils l’eurent remplacée, ils ont travaillé à les détruire. Tous ont successivement combattu pour ou contre les Jacobins, selon les temps & les circonstances.

Comme leurs devanciers, les dominateurs actuels ont caché leur ambition sous le masque de la modération & de l’amour de l’ordre. Comme leurs devanciers, ils ont cherché à décréditer les principes de la liberté.

Pour mieux y réussir, ils ont même cherché à en faire quelquefois de ridicules applications. Ils ont appelé tous les amis de la patrie des agitateurs, des anarchistes, quelquefois même ils en ont suscité de véritables, pour réaliser cette calomnie. Ils se sont montrés habiles dans l’art de couvrir leurs forfaits, en les imputant au peuple. Ils ont, de

  1. On désigne sous le nom de « gueux » les confédérés des Pays-Bas, soulevés en 1566 contre la tyrannie espagnole. Traqués par le duc d’Albe, ils continuèrent la lutte sut mer, et s’emparèrent, en 1572, de places qu’ils conservèrent jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance.