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Les discours de Robespierre

quelques membres siégeant en cette partie de la salle se croyaient en danger ; et, pour intéresser à la même cause la Convention nationale tout entière, on réveillait subitement l’affaire des soixante-treize députés détenus, et l’on m’imputait tous ces événements, qui m’étaient absolument étrangers ; on disait que je voulais immoler la Montagne ; on disait que je voulais perdre l’autre portion de la Convention nationale ; on me peignait ici comme le persécuteur des soixante-deux[1] députés détenus ; là on m’accusait de les défendre ; on disait que je soutenais le Marais (c’était l’expression de mes calomniateurs). Il est à remarquer que le plus puissant argument qu’ait employé la faction hébertiste, pour prouver que j’étais modéré, était l’opposition que j’avais apportée à la proscription d’une grande partie de la Convention nationale, et particulièrement mon opinion sur la proposition de décréter d’accusation les soixante-deux[2] détenus sans un rapport préalable.

Ah ! certes, lorsqu’au risque de blesser l’opinion publique, ne consultant que les intérêts sacrés de la patrie, j’arrachais seul à une décision précipitée ceux dont les opinions m’auraient conduit à l’échafaud, si elles avaient triomphé ; quand[3], dans d’autres occasions, je m’exposais à toutes les fureurs d’une faction hypocrite pour réclamer les principes de la stricte équité envers ceux qui m’avaient jugé avec plus de précipitation, j’étais loin sans doute de penser que l’on dût me tenir compte d’une pareille conduite ; j’aurais trop mal présumé d’un pays où elle aurait été remarquée, et où l’on aurait donné des noms pompeux aux devoirs les plus indispensables de la probité ; mais j’étais encore plus loin de penser qu’un jour on m’accuserait d’être le bourreau de ceux envers qui je les ai remplis, et l’ennemi de la représentation nationale, que j’avais servie avec dévoûment ; je m’attendais bien moins encore qu’on m’accuserait à la fois de vouloir la défendre et de vouloir l’égorger ! Quoi qu’il en soit, rien ne pourra jamais changer ni mes sentiments ni mes principes. À l’égard des députés détenus, je déclare que, loin d’avoir eu aucune part au décret qui les concerne, je l’ai trouvé au moins très extraordinaire dans les circonstances ; que je ne me suis occupé d’eux en aucune manière depuis le moment où j’ai fait envers eux tout ce que ma conscience m’a dicté. À l’égard des autres, je me suis expliqué sur quelques-uns avec franchise ; j’ai cru remplir mon devoir. Le reste est un tissu d’impostures atroces. Quant à la Convention nationale, mon premier devoir, comme mon premier penchant, est un respect sans bornes pour elle. Sans vouloir absoudre le crime, sans vouloir justifier en elles-mêmes les erreurs funestes de plusieurs, sans vouloir ternir la gloire des défenseurs énergiques de la liberté, ni affaiblir l’illusion d’un nom sacré

  1. Sorb. : «soixante-treize».
  2. Sorb. : «soixante-treize».
  3. Sorb. : «lorsque».