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à l’instrument même de son supplice une idée de grandeur et de prééminence, qui le distingue encore en ce moment de la foule des citoyens, et semble imposer au mépris public qui devoit l’écraser. Le premier transmettra sa honte au dernier rejetton de sa race malheureuse ; mais la honte n’oseroit approcher de la famille du second : et ses glorieux descendans citeront un jour avec orgueil la catastrophe même qui termina sa vie comme un titre éclatant de leur noblesse et de leur illustration.

Quel est donc le motif d’une telle partialité ! le Noble et le Roturier, condamnés à servir de victime à la vindicte publique, sont deux coupables, tous deux déchus du rang qu’ils occupoient dans l’État, tous deux dépouillés de la qualité de citoyen ; une seule différence reste entr’eux, c’est que le premier est plus criminel parce qu’il avoit violé des Loix qui avoient accumulé sur sa tête toutes les distinctions et tous les avantages de la Société. Pourquoi donc le traiter avec tant d’honneur au sein même de l’infamie ? Ô toi, qui vas expier à la face du public les attentats dont tu tes souillé, viens-tu donc jusques sur l’échafaud humilier, par le faste d’une orgueilleuse prérogative, les citoyens vertueux auxquels les loix vont t’immoler ! viens tu leur dire : je suis si grand et vous êtes si viles, que mes crimes mêmes sont plus nobles que ceux des gens de votre espèce, et que ni mes forfaits, ni mon supplice, ne peuvent encore m’abaisser jusqu’à vous ? Vous venez de voir, Messieurs, dans cet usage une injustice, une atteinte portée à la vigueur des Loix, une insulte à l’humanité ; mais ce qui me touche ici particulièrement, c’est l’appui qu’il prête au préjugé qui nous occupe.

Cette différence de peines qui semble dire aux Roturiers, qu’ils ne sont pas dignes de mourir de la même manière que les Nobles, ajoute nécessairement à celle des premiers un nouveau caractère d’ignominie ; tandis que les punitions des grands paroissent en quelque sorte honorables, parce qu’elles sont réservées pour les grands, celles du peuple deviennent plus avilissantes, parce qu’elles ne sont faites que pour le peuple. C’est ainsi que le déshonneur s’est attaché aux familles plébéiennes, parce que les instrumens destinés au supplice de leurs membres, étoient en même tems les tristes monumens de leur humiliation, et du mépris que la Loi même sembloit témoigner pour elles. Et voilà peut-être le plus puissant du préjugé ; car ce n’est ni la raison, ni