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la crainte de les pousser à des excès qui pouvoient deshonorer [1] leur famille ; et faire ainsi du préjugé dont nous parlons[2] l’instrument de leurs passions et la sauvegarde de leur licence. Ces[3] éxemples ne sont que trop communs ; ils ne demandent qu’un d’œil attentif, pour etre apperçus.

Ce n’est pas tout. Pour achever de peindre le préjugé que je combats, il me reste à prouver que s’il est le fleau de l’innocence, il n’est pas moins le protecteur du crime.

Attacher au sort d’un scélérat celui de plusieurs honnêtes gens, qu’est-ce autre chose que fournir au premier mille moiens d’échapper à la punition qu’il a méritée ?

Tandis que le bon ordre demande son supplice, la commisération publique sollicite sa grâce en faveur des innocens dont il doit entraîner la perte. Chaque procèz criminel qui menace l’honneur d’une famille honnête fait naitre, pour ainsi dire une nouvelle conspiration contre les loix ; les parens effraiés déploient tout leur crédit et toutes leurs ressources pour leur dérober la victime qu’elles doivent frapper ; leurs efforts, secondés par la voix de l’humanité remportent souvent sur l’intérêt public : qui pourroit compter tous ceux qui ont été enhardis au crime par le motif impérieux qui devoit forcer une famille puissante à leur assurer l’impunité ? qui pourroit compter tous les criminels dont le pardon a été arraché à la clémence des princes par les cris des infortunés qui devoient partager leur honte ?

C’est ainsi que nos préjugés insensés énervent la vigueur des loix ; c’est ainsi qu’à force d’être cruels, nous nous otons presque le droit d’être justes.

Eh ! celui dont nous parlons n’eut-il d’autre inconvénient que d’accoutumer les familles à solliciter des ordres supérieurs contre la liberté des particuliers, il n’en seroit pas moins encore un des plus terribles fléaux de la société : si

  1. Éd. de 1785 : qui auroient déshonoré.
  2. dont je parle.
  3. Voir à l’appendice II la variante de l’édition de 1785, page 32.