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irréprochables qui[1] ont le malheur de tenir à un coupable.

Si, au lieu de leur imputer les fautes de leurs proches[2], on leur fesoit un mérite de ne pas leur ressembler ; la condamnation de ces derniers[3] seroit pour eux un aiguillon puissant qui les forceroit à la faire oublier par leurs qualités personnelles ; mais le préjugé prive[4] à jamais la société des services qu’ils pouvoient lui rendre. En leur otant l’honneur, il les anéantit[5] ; il les frappe d’une espèce de mort civile non moins funeste que celle que la loi donne au criminel[6] qu’elle condamne.

Plut au ciel encore qu’ils ne fussent qu’inutiles et qu’ils ne devinssent[7] pas dangereux !

L’opprobre avilit les âmes ; celui que l’on condamne au mépris est forcé a dévenir méprisable. De quel sentiment noble, de quelle action généreuse sera capable celui qui ne peut plus prétendre à l’estime de ses semblables : privé sans retour des avantages attachés à la vertu, il faudra qu’il cherche un dédommagement dans les jouissances du vice.

Si la honte lui a laissé quelque ressort, craignons[8] le encore d’avantage : son énergie se tournera en haine et en désespoir ; son ame se soulèvera contre l’injustice atroce dont il est la victime ; il deviendra l’ennemi secret de la société qui l’opprime : heureux s’il ne finit pas par mériter la peine qu’il a d’abord injustement subie et si les loix ne punissent pas un jour en lui des crimes auxquels la barbarie de ses concitoiens l’aura conduit !

Il est vrai que souvent ces infortunés prennent le parti de fuir leur pays et d’aller cacher leur honte dans des contrées lointaines : mais comptons-nous pour rien la perle de tant de citoiens que nous forçons a porter aux nations étrangeres

  1. Éd. de 1785 : qui tiennent à un coupable.
  2. les fautes de leur parent.
  3. de ce dernier
  4. mais nos préjugés privent à jamais.
  5. ils les anéantissent ; ils les frappent.
  6. au coupable
  7. devinssent jamais dangereux.
  8. Voir à l’appendice I la variante de l’édition de 1785, page 28.