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lois, et si la loi ne peut jamais avoir qu’un objet général et relatif également à tous les membres de l’Etat, il s’ensuit que le souverain n’a jamais le pouvoir de rien statuer sur un objet particulier ; et, comme il importe cependant à la conservation de l’Etat qu’il soit aussi décidé des choses particulières, nous rechercherons comment cela peut se faire.

Les actes du souverain ne peuvent être que des actes de volonté générale, des lois ; il faut ensuite des actes déterminants, des actes de force ou de gouvernement, pour l’exécution de ces mêmes lois ; et ceux-ci, au contraire, ne peuvent avoir que des objets particuliers. Ainsi l’acte par lequel le souverain statue qu’on élira un chef est une loi, et l’acte par lequel on élit ce chef en exécution de la loi n’est qu’un acte de gouvernement.

Voici donc un troisième rapport sous lequel le peuple assemblé peut être considéré, savoir, comme magistrat ou exécuteur de la loi qu’il a portée comme souverain [122].

Nous examinerons s’il est possible que le peuple se dépouille de son droit de souveraineté pour en revêtir un homme ou plusieurs ; car l’acte d’élection n’étant pas une loi, et dans cet acte le peuple n’étant pas souverain lui-même, on ne voit point comment alors il peut transférer un droit qu’il n’a pas.

L’essence de la souveraineté consistant dans la volonté générale, on ne voit point non plus comment on peut s’assurer qu’une volonté particulière sera toujours d’accord avec cette volonté générale. On doit bien plutôt présumer qu’elle y sera souvent contraire ; car l’intérêt privé tend toujours aux préférences, et l’intérêt public à l’égalité ; et, quand cet accord serait possible, il suffirait qu’il ne fût pas nécessaire et indestructible pour que le droit souverain n’en pût résulter.

Nous rechercherons si, sans violer le pacte social, les chefs du peuple, sous quelque nom qu’ils soient élus, peuvent jamais être autre chose que les officiers du peuple, auxquels il ordonne de faire exécuter les lois ; si ces chefs ne lui doivent pas compte de leur administration, et ne sont pas soumis eux-mêmes aux lois qu’ils sont chargés de faire observer.

Si le peuple ne peut aliéner son droit suprême, peut-il le confier pour un temps ? s’il ne peut se donner un maître, peut-il se donner des représentants ? cette question est importante et mérite discussion.

Si le peuple ne peut avoir ni souverain ni représentants, nous examinerons comment il peut porter ses lois lui-même ; s’il doit avoir beaucoup de lois ; s’il doit les changer souvent ; s’il est aisé qu’un grand peuple soit son propre législateur ;

Si le peuple romain n’était pas un grand peuple ;

S’il est bon qu’il y ait de grands peuples.

Il suit des considérations précédentes qu’il y a dans l’Etat un corps intermédiaire entre les sujets et le souverain ; et ce corps intermédiaire, formé d’un ou de plusieurs membres, est chargé de l’administration publique, de l’exécution des lois, et du maintien de la liberté civile et politique.

Les membres de ce corps s’appellent magistrats ou rois, c’est-à-dire gouverneurs. Le corps entier, considéré par les hommes qui le composent, s’appelle prince, et, considéré par son action, il s’appelle gouvernement.

Si nous considérons l’action du corps entier agissant sur lui-même, c’est-à-dire le rapport du tout au tout, ou du souverain à l’Etat, nous pouvons comparer ce rapport à celui des extrêmes d’une proportion continue, dont le gouvernement donne le moyen terme. Le magistrat reçoit du souverain les ordres qu’il donne au peuple ; et, tout compensé, son produit ou sa puissance est au même degré que le produit ou la puissance des citoyens, qui sont sujets d’un côté et souverains de l’autre. On ne saurait altérer aucun des trois termes sans rompre à l’instant la proportion. Si le souverain veut gouverner, ou si le prince veut donner des lois, ou si le sujet refuse d’obéir, le désordre succède à la règle, et l’Etat dissous tombe dans le despotisme ou dans l’anarchie.