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opinions et votre conduite. Vous ne croyez pas en Dieu, et vous allez à la messe ! Mon cher maître, vous êtes tenu de me répondre.

— Je ressemble à beaucoup de dévots, à des hommes profondément religieux en apparence, mais tout aussi athées que nous pouvons l’être, vous et moi.

Et ce fut un torrent d’épigrammes sur quelques personnages politiques, dont le plus connu nous offre en ce siècle une nouvelle édition du Tartufe de Molière.

— Je ne vous demande pas tout cela, dit Bianchon, je veux savoir la raison de ce que vous venez de faire ici, pourquoi vous avez fondé cette messe.

— Ma foi, mon cher ami, dit Desplein, je suis sur le bord de ma tombe, je puis bien vous parler des commencements de ma vie.

En ce moment Bianchon et le grand homme se trouvaient dans la rue des Quatre-Vents, une des plus horribles rues de Paris. Desplein montra le sixième étage d’une de ces maisons qui ressemblent à un obélisque, dont la porte bâtarde donne sur une allée au bout de laquelle est un tortueux escalier éclairé par des jours justement nommés des jours de souffrance. C’était une maison verdâtre, au rez-de-chaussée de laquelle habitait un marchand de meubles, et qui paraissait loger à chacun de ses étages une différente misère. En levant le bras par un mouvement plein d’énergie, Desplein dit à Bianchon : — J’ai demeuré là-haut deux ans !

— Je le sais, d’Arthez y a demeuré, j’y suis venu presque tous les jours pendant ma première jeunesse, nous l’appelions alors le bocal aux grands hommes ! Après ?

— La messe que je viens d’entendre est liée à des événements qui se sont accomplis alors que j’habitais la mansarde où vous me dites qu’a demeuré d’Arthez, celle à la fenêtre de laquelle flotte une corde chargée de linge au-dessus d’un pot de fleurs. J’ai eu de si rudes commencements, mon cher Bianchon, que je puis disputer à qui que ce soit la palme des souffrances parisiennes. J’ai tout supporté : faim, soif, manque d’argent, manque d’habits, de chaussure et de linge, tout ce que la misère a de plus dur. J’ai soufflé sur mes doigts engourdis dans ce bocal aux grands hommes, que je voudrais aller revoir avec vous. J’ai travaillé pendant un hiver en voyant fumer ma tête, et distinguant l’air de ma transpiration comme nous voyons celle des chevaux par un jour de gelée. Je ne sais où l’on prend son point d’appui pour résister à cette vie. J’étais