Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’ancien parfumeur, qui vivait auprès de son oncle, n’osait le questionner sur l’emploi des sommes acquises par ses travaux et par ceux de sa fille et de sa femme. Il allait tête baissée par les rues, dérobant à tous les regards son visage abattu, décomposé, stupide. César se reprochait de porter du drap fin.

— Au moins, disait-il avec un regard angélique à son oncle, je ne mange pas le pain de mes créanciers. Votre pain me semble doux quoique donné par la pitié que je vous inspire, en songeant que, grâce à cette sainte charité, je ne vole rien sur mes appointements.

Les négociants qui rencontraient l’employé n’y retrouvaient aucun vestige du parfumeur. Les indifférents concevaient une immense idée des chutes humaines à l’aspect de cet homme au visage duquel le chagrin le plus noir avait mis son deuil ; qui se montrait bouleversé par ce qui n’avait jamais apparu chez lui, la pensée ! N’est pas détruit qui veut. Les gens légers, sans conscience, à qui tout est indifférent, ne peuvent jamais offrir le spectacle d’un désastre. La religion seule imprime un sceau particulier sur les êtres tombés : ils croient à un avenir, à une Providence ; il est en eux une certaine lueur qui les signale, un air de résignation sainte entremêlée d’espérance qui cause une sorte d’attendrissement ; ils savent tout ce qu’ils ont perdu comme un ange exilé pleurant à la porte du ciel. Les faillis ne peuvent se présenter à la Bourse. César, chassé du domaine de la probité, était une image de l’ange soupirant après le pardon. Pendant quatorze mois, plein des religieuses pensées que sa chute lui inspira, Birotteau refusa tout plaisir. Quoique sûr de l’amitié des Ragon, il fut impossible de le déterminer à venir dîner chez eux, ni chez les Lebas, ni chez les Matifat, ni chez les Protez et Chiffreville, ni même chez monsieur Vauquelin, qui tous s’empressèrent d’honorer en César une vertu supérieure. César aimait mieux être seul dans sa chambre que de rencontrer le regard d’un créancier. Les prévenances les plus cordiales de ses amis lui rappelaient amèrement sa position. Constance et Césarine n’allaient alors nulle part. Le dimanche et les fêtes, seuls jours où elles fussent libres, ces deux femmes venaient à l’heure de la messe prendre César et lui tenaient compagnie chez Pillerault après avoir accompli leurs devoirs religieux. Pillerault invitait l’abbé Loraux, dont la parole soutenait César dans sa vie d’épreuves, et ils restaient alors en famille. L’ancien quincaillier avait la fibre de la probité trop sensible pour désapprouver les délicatesses de César. Aussi