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juge-commissaire, ni agent, ni cour souveraine possible dans l’endroit où la banqueroute éclata.

Cet effroyable gâchis commercial est si bien apprécié à Paris, qu’à moins d’être intéressé dans la faillite pour une somme capitale, tout négociant, quelque peu affairé qu’il soit, accepte la faillite comme un sinistre sans assureurs, passe la perte au compte des « profits et pertes, » et ne commet pas la sottise de dépenser son temps ; il continue à brasser ses affaires. Quant au petit commerçant, harcelé par ses fins de mois, occupé de suivre le char de sa fortune, un procès effrayant de durée et coûteux à entamer l’épouvante ; il renonce à voir clair, imite le gros négociant, et baisse la tête en réalisant sa perte.

Les gros négociants ne déposent plus leur bilan, ils liquident à l’amiable : les créanciers donnent quittance en prenant ce qu’on leur offre. On évite alors le déshonneur, les délais judiciaires, les honoraires d’agréés, les dépréciations de marchandises. Chacun croit que la faillite donnerait moins que la liquidation. Il y a plus de liquidations que de faillites à Paris.

L’acte des Syndics est destiné à prouver que tout syndic est incorruptible, qu’il n’y a jamais entre eux et le failli la moindre collusion. Le parterre, qui a été plus ou moins Syndic, sait que tout Syndic est un créancier couvert. Il écoute, il croit ce qu’il veut, et arrive à la journée du concordat, après trois mois employés à vérifier les créances passives et les créances actives. Les Syndics Provisoires font alors à l’assemblée un petit rapport dont voici la formule générale :

« Messieurs, il nous était dû à tous en bloc un million ; nous avons dépecé notre homme comme une frégate sombrée : les clous, les fers, les bois, les cuivres ont donné trois cent mille francs. Nous avons donc trente pour cent de nos créances. Heureux d’avoir trouvé cette somme quand notre débiteur pouvait ne nous laisser que cent mille francs, nous le déclarons un Aristide, nous lui votons des primes d’encouragement, des couronnes, et proposons de lui laisser son actif, en lui accordant dix ou douze ans pour nous payer cinquante pour cent qu’il daigne nous promettre. Voici le concordat, passez au bureau, signez-le ! »

À ce discours, les heureux négociants se félicitent et s’embrassent. Après l’homologation de ce concordat, le failli redevient négociant comme devant ; on lui rend son actif, il recommence ses