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bilan ; enfin le greffe indique une convocation de tous les créanciers, laquelle se fait au son de trompe des annonces dans les journaux. Les créanciers faux ou vrais sont tenus d’accourir et de se réunir afin de nommer des syndics provisoires qui remplacent l’agent, se chaussent avec les souliers du failli, deviennent par une fiction de la loi le failli lui-même, et peuvent tout liquider, tout vendre, transiger sur tout, enfin fondre la cloche au profit des créanciers, si le failli ne s’y oppose pas. La plupart des faillites parisiennes s’arrêtent aux syndics provisoires, et voici pourquoi.

La nomination d’un ou plusieurs syndics définitifs est un des actes les plus passionnés auxquels puissent se livrer des créanciers altérés de vengeance, joués, bafoués, turlupinés, attrapés, dindonnés, volés et trompés. Quoiqu’en général les créanciers soient trompés, volés, dindonnés, attrapés, turlupinés, bafoués et joués, il n’existe pas à Paris de passion commerciale qui vive quatre-vingt-dix jours. En négoce, les effets de commerce savent seuls se dresser, altérés de paiement, à trois mois. À quatre-vingt-dix jours tous les créanciers exténués de fatigue par les marches et contre-marches qu’exige une faillite dorment auprès de leurs excellentes petites femmes. Ceci peut aider les étrangers à comprendre combien en France le provisoire est définitif : sur mille syndics provisoires, il n’en est pas cinq qui deviennent définitifs. La raison de cette abjuration des haines soulevées par la faillite va se concevoir. Mais il devient nécessaire d’expliquer aux gens qui n’ont pas le bonheur d’être négociants le drame d’une faillite, afin de faire comprendre comment il constitue à Paris une des plus monstrueuses plaisanteries légales, et comment la faillite de César allait être une énorme exception.

Ce beau drame commercial a trois actes distincts : l’acte de l’Agent, l’acte des Syndics, l’acte du Concordat. Comme toutes les pièces de théâtre il offre un double spectacle : il a sa mise en scène pour le public et ses moyens cachés, il y a la représentation vue du parterre et la représentation vue des coulisses. Dans les coulisses sont le failli et son Agréé, l’avoué des commerçants, les Syndics et l’Agent, enfin le Juge-Commissaire. Personne hors Paris ne sait, et personne à Paris n’ignore qu’un juge au tribunal de commerce est le plus étrange magistrat qu’une Société se soit permis de créer. Ce juge peut craindre à tout moment sa justice pour lui-même. Paris a vu le président de son tribunal être forcé de dé-