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Constance le mit au fait du malheur qui fondait sur eux, et l’abbé monta comme un soldat monte à la brèche.

— Je sais pourquoi vous venez, s’écria Birotteau.

— Mon fils, dit le prêtre, vos sentiments de résignation à la volonté divine me sont depuis long-temps connus ; mais il s’agit de les appliquer : ayez toujours les yeux sur la croix, ne cessez de la regarder en pensant aux humiliations dont le Sauveur des hommes fut abreuvé, combien sa passion fut cruelle, vous pourrez supporter ainsi les mortifications que Dieu vous envoie…

— Mon frère l’abbé m’avait déjà préparé, dit César en lui montrant la lettre qu’il avait relue et qu’il tendit à son confesseur.

— Vous avez un bon frère, dit monsieur Loraux, une épouse vertueuse et douce, une tendre fille, deux vrais amis, votre oncle et le cher Anselme, deux créanciers indulgents, les Ragon, ces bons cœurs verseront incessamment du baume sur vos blessures et vous aideront à porter votre croix. Promettez-moi d’avoir la fermeté d’un martyr, d’envisager le coup sans défaillir.

L’abbé toussa pour prévenir Pillerault qui était dans le salon.

— Ma résignation est sans bornes, dit César avec calme. Le déshonneur est venu, je songe à la réparation.

La voix du pauvre parfumeur et son air surprirent Césarine et le prêtre. Cependant rien n’était plus naturel. Tous les hommes supportent mieux un malheur connu, défini, que les cruelles alternatives d’un sort qui, d’un instant à l’autre, apporte ou la joie excessive ou l’extrême douleur.

— J’ai rêvé pendant vingt-deux ans, je me réveille aujourd’hui mon gourdin à la main, dit César redevenu paysan tourangeau.

En entendant ces mots, Pillerault serra son neveu dans ses bras. César aperçut sa femme, Anselme et Célestin. Les papiers que tenait le premier commis étaient bien significatifs. César contempla tranquillement ce groupe où tous les regards étaient tristes mais amis.

— Un moment ! dit-il en détachant sa croix qu’il tendit à l’abbé Loraux. Vous me la rendrez quand je pourrai la porter sans honte. Célestin, ajouta-t-il en s’adressant à son commis, écrivez ma démission d’adjoint. Monsieur l’abbé vous dictera la lettre, vous la daterez du quatorze, et la ferez porter chez monsieur de La Billardière par Raguet.

Célestin et l’abbé Loraux descendirent. Pendant environ un quart