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à la porte de ce cabinet où résidait la panacée universelle, le crédit ! César pensait douloureusement qu’il avait été un moment chez lui roi, comme cet homme était roi tous les matins, et il mesurait la profondeur de l’abîme où il était tombé. Amère pensée ! Combien de larmes rentrées durant cette heure passée là ! Combien de fois Birotteau supplia Dieu de lui rendre cet homme favorable, car il lui trouvait, sous une grosse enveloppe de bonhomie populaire, une insolence, une tyrannie colérique, une brutale envie de dominer qui épouvantait son âme douce. Enfin, quand il n’y eut plus que dix ou douze personnes, Birotteau se résolut, quand la porte extérieure du cabinet grognerait, de se dresser, de se mettre au niveau du grand orateur en lui disant : Je suis Birotteau ! Le grenadier qui s’élança le premier dans la redoute de la Moskowa ne déploya pas plus de courage que le parfumeur n’en rassembla pour se livrer à cette manœuvre.

Après tout, je suis son adjoint, se dit-il en se levant pour décliner son nom.

La physionomie de François Keller devint accorte, il voulut évidemment être aimable, il regarda le ruban rouge du parfumeur, se recula, ouvrit la porte de son cabinet, lui montra le chemin, et resta pendant quelque temps à causer avec deux personnes qui s’élancèrent de l’escalier avec la violence d’une trombe.

— Decazes veut vous parler, dit l’une des deux.

— Il s’agit de tuer le pavillon Marsan ! le roi voit clair, il vient à nous ? s’écria l’autre.

— Nous irons ensemble à la chambre, dit le banquier en rentrant dans l’attitude de la grenouille qui veut imiter le bœuf.

— Comment peut-il penser aux affaires de banque ? se demanda Birotteau tout bouleversé.

Le soleil de la supériorité scintillait, éblouissait le parfumeur comme la lumière aveugle les insectes qui veulent un jour doux ou les demi-ténèbres d’une belle nuit. Sur une immense table il apercevait le budget, les mille imprimés de la chambre, les volumes du Moniteur ouverts, consultés et marqués pour jeter à la tête d’un ministre ses précédentes paroles oubliées et lui faire chanter la palinodie aux applaudissements d’une foule niaise, incapable de comprendre que les événements modifient tout. Sur une autre table, des cartons entassés, les mémoires, les projets, les mille renseignements confiés à un homme dans la caisse duquel toutes les