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tra dans les salons pour prendre le café, il était neuf heures et demie. Quelques fiacres avaient amené d’impatientes danseuses. Une heure après, le salon fut plein, et le bal prit un air de raout. Monsieur de Lacépède et monsieur Vauquelin s’en allèrent, au grand désespoir de Birotteau, qui les suivit jusque sur l’escalier en les suppliant de rester, mais en vain. Il réussit à maintenir monsieur Popinot le juge et monsieur de La Billardière. À l’exception de trois femmes qui représentaient l’Aristocratie, la Finance et l’Administration : mademoiselle de Fontaine, madame Jules, madame Rabourdin, et dont l’éclatante beauté, la mise et les manières tranchaient au milieu de cette réunion, les autres femmes offraient à l’œil des toilettes lourdes, solides, ce je ne sais quoi de cossu qui donne aux masses bourgeoises un aspect commun, que la légèreté, la grâce de ces trois femmes faisaient cruellement ressortir. La bourgeoisie de la rue Saint-Denis s’étalait majestueusement en se montrant dans toute la plénitude de ses droits de spirituelle sottise. C’était bien cette bourgeoisie qui habille ses enfants en lancier ou en garde national, qui achète Victoires et Conquêtes, le Soldat laboureur, admire le Convoi du pauvre, se réjouit le jour de garde, va le dimanche dans une maison de campagne à soi, s’inquiète d’avoir l’air distingué, rêve aux honneurs municipaux ; cette bourgeoisie jalouse de tout, et néanmoins bonne ! serviable, dévouée, sensible, compatissante, souscrivant pour les enfants du général Foy, pour les Grecs dont elle ignore les pirateries, pour le Champ-d’Asile au moment où il n’existe plus, dupe de ses vertus et bafouée pour ses défauts par une société qui ne la vaut pas, car elle a du cœur précisément parce qu’elle ignore les convenances ; cette vertueuse bourgeoisie qui élève des filles candides rompues au travail, pleines de qualités que le contact des classes supérieures diminue aussitôt qu’elle les y lance, ces filles sans esprit parmi lesquelles le bonhomme Chrysale aurait pris sa femme ; enfin, une bourgeoisie admirablement représentée par les Matifat, les droguistes de la rue des Lombards, dont la maison fournissait la Reine des Roses depuis soixante ans. Madame Matifat, qui avait voulu se donner un air digne, dansait coiffée d’un turban et vêtue d’une lourde robe ponceau lamée d’or, toilette en harmonie avec un air fier, un nez romain et les splendeurs d’un teint cramoisi. Monsieur Matifat, si superbe à une revue de garde nationale, où l’on apercevait à cinquante pas son ventre rondelet sur lequel brillaient sa chaîne et son