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corps municipal les croix accordées, en appuyant sur sa blessure reçue à Saint-Roch, sur son attachement aux Bourbons et sur la considération dont il jouissait. Le ministère qui voulait, tout en prodiguant la croix de la Légion-d’Honneur afin d’abattre l’œuvre de Napoléon, se faire des créatures et rallier aux Bourbons les différents commerces, les hommes d’art et de science, comprit donc Birotteau dans la prochaine promotion. Cette faveur, en harmonie avec l’éclat que jetait Birotteau dans son arrondissement, le plaçait dans une situation où durent s’agrandir les idées d’un homme à qui jusqu’alors tout avait réussi. La nouvelle que le maire lui avait donnée de sa promotion fut le dernier argument qui décida le parfumeur à se lancer dans l’opération qu’il venait d’exposer à sa femme, afin de quitter au plus vite la parfumerie, et s’élever aux régions de la haute bourgeoisie de Paris.

César avait alors quarante ans. Les travaux auxquels il se livrait dans sa fabrique lui avaient donné quelques rides prématurées, et avaient légèrement argenté la longue chevelure touffue que la pression de son chapeau lustrait circulairement. Son front, où, par la manière dont ils étaient plantés, ses cheveux dessinaient cinq pointes, annonçait la simplicité de sa vie. Ses gros sourcils n’effrayaient point, car ses yeux bleus s’harmoniaient par leur limpide regard toujours franc à son front d’honnête homme. Son nez cassé à la naissance et gros du bout lui donnait l’air étonné des gobe-mouches de Paris. Ses lèvres étaient très-lippues, et son grand menton tombait droit. Sa figure, fortement colorée, à contours carrés, offrait, par la disposition des rides, par l’ensemble de la physionomie, le caractère ingénuement rusé du paysan. La force générale du corps, la grosseur des membres, la carrure du dos, la largeur des pieds, tout dénotait d’ailleurs le villageois transplanté dans Paris. Ses mains larges et poilues, les grasses phalanges de ses doigts ridés, ses grands ongles carrés eussent attesté son origine, s’il n’en était pas resté des vestiges dans toute sa personne. Il avait sur les lèvres le sourire de bienveillance que prennent les marchands quand vous entrez chez eux, mais ce sourire commercial était l’image de son contentement intérieur et peignait l’état de son âme douce. Sa défiance ne dépassait jamais les affaires, sa ruse le quittait sur le seuil de la Bourse ou quand il fermait son grand livre. Le soupçon était pour lui ce qu’étaient ses factures imprimées, une nécessité de la vente elle-même. Sa figure offrait une