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des Lombards, peut en y sentant quelques parfums rêver l’Asie ; il admire des danseuses dans une chauderie en respirant du vétiver ; frappé par l’éclat de la cochenille, il y retrouve les poèmes brahamiques, les religions et leurs castes ; en se heurtant contre l’ivoire brut, il monte sur le dos des éléphants, dans une cage de mousseline, et y fait l’amour comme le roi de Lahore. Mais le petit commerçant ignore d’où viennent et où croissent les produits sur lesquels il opère. Birotteau parfumeur ne savait pas un iôta d’histoire naturelle ni de chimie. En regardant Vauquelin comme un grand homme, il le considérait comme une exception, il était de la force de cet épicier retiré qui résumait ainsi une discussion sur la manière de faire venir le thé : — Le thé ne vient que de deux manières, par caravane ou par le Hâvre, dit-il d’un air finaud. Selon Birotteau, l’aloès et l’opium ne se trouvaient que rue des Lombards. L’eau de rose prétendue de Constantinople se faisait, comme l’eau de Cologne, à Paris. Ces noms de lieux étaient des bourdes inventées pour plaire aux Français qui ne peuvent supporter les choses de leur pays. Un marchand français devait dire sa découverte anglaise, afin de lui donner de la vogue, comme en Angleterre un droguiste attribue la sienne à la France. Néanmoins, César ne pouvait jamais être entièrement sot ni bête : la probité, la bonté jetaient sur les actes de sa vie un reflet qui les rendait respectables, car une belle action fait accepter toutes les ignorances possibles. Son constant succès lui donna de l’assurance. À Paris, l’assurance est acceptée pour le pouvoir dont elle est le signe. L’ayant apprécié durant les trois premières années de leur mariage, sa femme fut en proie à des transes continuelles : elle représentait dans cette union la partie sagace et prévoyante, le doute, l’opposition, la crainte ; comme César y représentait l’audace, l’ambition, l’action, le bonheur inouï de la fatalité. Malgré les apparences, le marchand était trembleur, tandis que sa femme avait en réalité de la patience et du courage. Ainsi un homme pusillanime, médiocre, sans instruction, sans idées, sans connaissances, sans caractère, et qui ne devait point réussir sur la place la plus glissante du monde, arriva, par son esprit de conduite, par le sentiment du juste, par la bonté d’une âme vraiment chrétienne, par amour pour la seule femme qu’il eût possédée, à passer pour un homme remarquable, courageux et plein de résolution. Le public ne voyait que les résultats. Hors Pillerault et le juge Popinot,