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le tuteur de Constance, monsieur Claude-Joseph Pillerault, alors marchand quincaillier sur le quai de la Ferraille, qu’il avait fini par découvrir en se livrant à l’espionnage souterrain qui distingue le véritable amour. La rapidité de ce récit oblige à passer sous silence les joies de l’amour parisien fait avec innocence, à taire les prodigalités particulières aux commis : melons apportés dans la primeur, fins dîners chez Vénua suivis du spectacle, parties de campagne en fiacre le dimanche. Sans être joli garçon, César n’avait rien dans sa personne qui s’opposât à ce qu’il fût aimé. La vie de Paris et son séjour dans un magasin sombre avaient fini par éteindre la vivacité de son teint de paysan. Son abondante chevelure noire, son encolure de cheval normand, ses gros membres, son air simple et probe, tout contribuait à disposer favorablement en sa faveur. L’oncle Pillerault, chargé de veiller au bonheur de la fille de son frère, avait pris des renseignements : il sanctionna les intentions du Tourangeau. En 1800, au joli mois de mai, mademoiselle Pillerault consentit à épouser César Birotteau, qui s’évanouit de joie au moment où, sous un tilleul, à Sceaux, Constance-Barbe-Joséphine l’accepta pour époux.

— Ma petite, dit monsieur Pillerault, tu acquiers un bon mari. Il a le cœur chaud et des sentiments d’honneur : c’est franc comme l’osier et sage comme un Enfant-Jésus, enfin le roi des hommes.

Constance abdiqua franchement les brillantes destinées auxquelles, comme toutes les filles de boutique, elle avait parfois rêvé : elle voulut être une honnête femme, une bonne mère de famille, et prit la vie suivant le religieux programme de la classe moyenne. Ce rôle allait d’ailleurs bien mieux à ses idées que les dangereuses vanités qui séduisent tant de jeunes imaginations parisiennes. D’une intelligence étroite, Constance offrait le type de la petite bourgeoise dont les travaux ne vont pas sans un peu d’humeur, qui commence par refuser ce qu’elle désire et se fâche quand elle est prise au mot, dont l’inquiète activité se porte sur la cuisine et sur la caisse, sur les affaires les plus graves et sur les reprises invisibles à faire au linge, qui aime en grondant, ne conçoit que les idées les plus simples, la petite monnaie de l’esprit, raisonne sur tout, a peur de tout, calcule tout et pense toujours à l’avenir. Sa beauté froide, mais candide, son air touchant, sa fraîcheur, empêchèrent Birotteau de songer à des défauts compensés d’ailleurs par cette délicate