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— Il faudra mettre tout cen dessus dessous ici.

— Que dis-tu donc avec tel cen dessus dessous ? Mais tout sera rangé comme un papier de musique. Tu as donc déjà oublié ce que je viens de te dire relativement à l’escalier et à ma location dans la maison voisine que j’ai arrangée avec le marchand de parapluies, Cayron ? Nous devons aller ensemble demain chez monsieur Molineux, son propriétaire, car j’ai demain des affaires autant qu’en a un ministre…

— Tu m’as tourné la cervelle avec tes projets, lui dit Constance, je m’y brouille. D’ailleurs, Birotteau, je dors.

— Bon jour, répondit le mari. Écoute donc, je te dis bonjour parce que nous sommes au matin, mimi. Ah ! la voilà partie, cette chère enfant ! Va, tu seras richissime, ou je perdrai mon nom de César.

Quelques instants après, Constance et César ronflèrent paisiblement.

Un coup d’œil rapidement jeté sur la vie antérieure de ce ménage confirmera les idées que doit suggérer l’amicale altercation des deux principaux personnages de cette scène. En peignant les mœurs des détaillants, cette esquisse expliquera d’ailleurs par quels singuliers hasards César Birotteau se trouvait adjoint et parfumeur, ancien officier de la garde nationale et chevalier de la Légion-d’Honneur. En éclairant la profondeur de son caractère et les ressorts de sa grandeur, on pourra comprendre comment les accidents commerciaux que surmontent les têtes fortes deviennent d’irréparables catastrophes pour de petits esprits. Les événements ne sont jamais absolus, leurs résultats dépendent entièrement des individus : le malheur est un marche-pied pour le génie, une piscine pour le chrétien, un trésor pour l’homme habile, pour les faibles un abîme.

Un closier des environs de Chinon, nommé Jacques Birotteau, épousa la femme de chambre d’une dame chez laquelle il faisait les vignes ; il eut trois garçons, sa femme mourut en couches du dernier, et le pauvre homme ne lui survécut pas long-temps. La maîtresse affectionnait sa femme de chambre ; elle fit élever avec ses fils l’aîné des enfants de son closier, nommé François, et le plaça dans un séminaire. Ordonné prêtre, François Birotteau se cacha pendant la révolution et mena la vie errante des prêtres non assermentés, traqués comme des bêtes fauves, et pour le moins guillotinés. Au moment où commence cette histoire, il se trouvait vicaire