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dans sa robe de chambre, et alla chercher machinalement à sa femme un jupon de flanelle.

— Tiens, mimi, couvre-toi donc, dit-il. Vingt-deux sur dix-huit, reprit-il en continuant son monologue, nous pouvons avoir un superbe salon.

— Ah çà, Birotteau, te voilà donc en train de devenir fou ? rêves-tu ?

— Non, ma femme, je calcule.

— Pour faire tes bêtises, tu devrais bien au moins attendre le jour, s’écria-t-elle en rattachant son jupon sous sa camisole pour aller ouvrir la porte de la chambre où couchait sa fille.

— Césarine dort, dit-elle, elle ne nous entendra point. Voyons, Birotteau, parle donc. Qu’as-tu ?

— Nous pouvons donner le bal.

— Donner un bal ! nous ? Foi d’honnête femme, tu rêves, mon cher ami.

— Je ne rêve point, ma belle biche blanche. Écoute, il faut toujours faire ce qu’on doit relativement à la position où l’on se trouve. Le gouvernement m’a mis en évidence, j’appartiens au gouvernement ; nous sommes obligés d’en étudier l’esprit et d’en favoriser les intentions en les développant. Le duc de Richelieu vient de faire cesser l’occupation de la France. Selon monsieur de La Billardière, les fonctionnaires qui représentent la ville de Paris doivent se faire un devoir, chacun dans la sphère de ses influences, de célébrer la libération du territoire. Témoignons un vrai patriotisme qui fera rougir celui des soi-disant libéraux, ces damnés intrigants, hein ? Crois-tu que je n’aime pas mon pays ? Je veux montrer aux libéraux, à mes ennemis, qu’aimer le roi, c’est aimer la France !

— Tu crois donc avoir des ennemis, mon pauvre Birotteau ?

— Mais oui, ma femme, nous avons des ennemis. Et la moitié de nos amis dans le quartier sont nos ennemis. Ils disent tous : Birotteau a la chance, Birotteau est un homme de rien, le voilà cependant adjoint, tout lui réussit. Eh bien ! ils vont être encore joliment attrapés. Apprends la première que je suis chevalier de la Légion-d’Honneur : le roi a signé hier l’ordonnance.

— Oh ! alors, dit madame Birotteau tout émue, faut donner le bal, mon bon ami. Mais qu’as-tu donc tant fait pour avoir la croix ?