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n’allait plus au collége Henri IV, était vêtu comme un jeune homme adonné aux premiers bonheurs que procure l’élégance. Son père n’avait pas voulu lui faire faire inutilement une année de philosophie, il tâchait de donner à ses connaissances une sorte de lien par l’étude des mathématiques transcendantes. En même temps le marquis lui apprenait les langues orientales, le droit diplomatique de l’Europe, le blason, et l’histoire aux grandes sources, l’histoire dans les chartes, dans les pièces authentiques, dans les recueils d’ordonnances. Camille était entré récemment en Rhétorique.

Le jour où Popinot se proposa de venir interroger monsieur d’Espard, fut un jeudi, jour de congé. Avant que leur père ne s’éveillât, sur les neuf heures, les deux frères jouaient dans le jardin. Clément se défendait mal contre les instances de son frère qui désirait aller au tir pour la première fois, et qui lui demandait d’appuyer sa demande auprès du marquis. Le vicomte abusait toujours un peu de sa faiblesse, et prenait souvent plaisir à lutter avec son frère. Tous deux se mirent donc à se quereller et à se battre en jouant comme des écoliers. En courant dans le jardin, l’un après l’autre, ils firent assez de bruit pour éveiller leur père qui se mit à sa fenêtre, sans être aperçu par eux, grâce à la chaleur du combat. Le marquis se plut à considérer ses deux enfants qui s’entrelaçaient comme deux serpents, et montraient leurs têtes animées par le déploiement de leurs forces : leurs visages étaient blancs et roses, leurs yeux lançaient des éclairs, leurs membres se tordaient comme des cordes au feu ; ils tombaient, se relevaient, se reprenaient comme deux athlètes dans un cirque, et causaient à leur père un de ces bonheurs qui récompenserait les plus vives peines d’une vie agitée. Deux personnes, l’une au second, l’autre au premier étage de la maison, regardèrent dans le jardin, et dirent aussitôt que le vieux fou s’amusait à faire battre ses enfants. Aussitôt plusieurs têtes parurent aux fenêtres ; le marquis les aperçut, dit un mot à ses fils, qui tout à coup grimpèrent à sa fenêtre, sautèrent dans sa chambre, et Clément obtint aussitôt la permission demandée par Camille. Il ne fut bruit dans la maison que du nouveau trait de folie du marquis.

Quand Popinot se présenta vers midi, accompagné de son greffier, à la porte où il demanda monsieur d’Espard, la portière le conduisit au troisième étage, en lui racontant comme quoi monsieur d’Espard, pas plus tard que ce matin, avait fait bat-