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— Je hais ces sortes de gens, je souhaite une révolution qui nous en délivre à jamais.

— Ainsi, cher Robespierre à lancette, tu n’iras pas demain chez ton oncle Popinot ?

— Si, dit Bianchon, quand il s’agit de toi, j’irais chercher de l’eau en enfer…

— Cher ami, tu m’attendris ; j’ai juré que le marquis serait interdit ! Tiens, je me trouve encore une vieille larme pour te remercier.

— Mais, dit Horace en continuant, je ne te promets pas de réussir à vos souhaits près de Jean-Jules Popinot, tu ne le connais pas ; mais je l’amènerai après-demain chez ta marquise, elle l’entortillera si elle peut. J’en doute. Toutes les truffes, toutes les duchesses, toutes les poulardes et tous les couteaux de guillotine seraient là dans la grâce de leurs séductions ; le roi lui promettrait la pairie, le bon Dieu lui donnerait l’investiture du Paradis et les revenus du Purgatoire ; aucun de ces pouvoirs n’obtiendrait de lui, de faire passer un fétu d’un plateau à l’autre de sa balance. Il est juge comme la mort est la mort.

Les deux amis étaient arrivés devant le Ministère des Affaires étrangères, au coin du boulevard des Capucines.

— Te voilà chez toi, dit en riant Bianchon qui lui montra l’hôtel du ministre. Et voici ma voiture, ajouta-t-il en montrant un fiacre. Ainsi se résume pour chacun de nous l’avenir.

— Tu seras heureux au fond de l’eau, tandis que je lutterai toujours à la surface avec les tempêtes, jusqu’à ce qu’en sombrant, j’aille te demander place dans ta grotte, mon vieux !

— À samedi, répliqua Bianchon.

— Convenu, dit Rastignac. Tu me promets le Popinot ?

— Oui, je ferai tout ce que ma conscience me permettra de faire. Peut-être cette demande en interdiction cache-t-elle quelque petit dramorama, pour nous rappeler par un mot notre mauvais bon temps.

— Pauvre Bianchon ! ce ne sera jamais qu’un honnête homme, se dit Rastignac en voyant le fiacre s’éloigner.

— Rastignac m’a chargé de la plus difficile de toutes les négociations, se dit Bianchon en se souvenant à son lever de la commission délicate qui lui était confiée. Mais je n’ai jamais demandé à mon oncle le moindre petit service au Palais, et j’ai fait pour lui