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pâlir, si vous aviez la moindre douleur dont je fusse la cause même innocente. — Un serpent ! dit-elle en montrant une couleuvre qui se glissait le long d’un fossé. J’ai peur de ces odieuses bêtes. Sarrasine écrasa la tête de la couleuvre d’un coup de pied. — Comment avez-vous assez de courage ! reprit la Zambinella en contemplant avec un effroi visible le reptile mort. — Eh ! bien, dit l’artiste en souriant, oserez-vous bien prétendre que vous n’êtes pas femme ? Ils rejoignirent leurs compagnons et se promenèrent dans les bois de la villa Ludovisi, qui appartenait alors au cardinal Cicognara. Cette matinée s’écoula trop vite pour l’amoureux sculpteur, mais elle fut remplie par une foule d’incidents qui lui dévoilèrent la coquetterie, la faiblesse, la mignardise de cette âme molle et sans énergie. C’était la femme avec ses peurs soudaines, ses caprices sans raison, ses troubles instinctifs, ses audaces sans cause, ses bravades et sa délicieuse finesse de sentiment. Il y eut un moment où, s’aventurant dans la campagne, la petite troupe des joyeux chanteurs vit de loin quelques hommes armés jusqu’aux dents, et dont le costume n’avait rien de rassurant. À ce mot : — Voici des brigands, chacun doubla le pas pour se mettre à l’abri dans l’enceinte de la villa du cardinal. En cet instant critique, Sarrasine s’aperçut à la pâleur de la Zambinella qu’elle n’avait plus assez de force pour marcher ; il la prit dans ses bras et la porta, pendant quelque temps, en courant. Quand il se fut rapproché d’une vigne voisine, il mit sa maîtresse à terre. — Expliquez-moi, lui dit-il, comment cette extrême faiblesse qui, chez toute autre femme, serait hideuse, me déplairait, et dont la moindre preuve suffirait presque pour éteindre mon amour, en vous me plaît, me charme ? — Oh ! combien je vous aime ! reprit-il. Tous vos défauts, vos terreurs, vos petitesses ajoutent je ne sais quelle grâce à votre âme. Je sens que je détesterais une femme forte, une Sapho, courageuse, pleine d’énergie, de passion. Ô frêle et douce créature ! comment peux-tu être autrement ? Cette voix d’ange, cette voix délicate, eût été un contre-sens si elle fût sortie d’un corps autre que le tien. — Je ne puis, dit-elle, vous donner aucun espoir. Cessez de me parler ainsi, car l’on se moquerait de vous. Il m’est impossible de vous interdire l’entrée du théâtre ; mais si vous m’aimez ou si vous êtes sage, vous n’y viendrez plus. Écoutez, monsieur, dit-elle d’une voix grave. — Oh ! tais-toi, dit l’artiste enivré. Les obstacles attisent l’amour dans mon cœur. La Zambinella resta dans une