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comme un jeune chevreuil et s’élança dans la salle du festin. Quand Sarrasine y apparut courant après elle, il fut accueilli par un rire infernal. Il vit la Zambinella évanouie sur un sofa. Elle était pâle et comme épuisée par l’effort extraordinaire qu’elle venait de faire. Quoique Sarrasine sût peu d’italien, il entendit sa maîtresse disant à voix basse à Vitagliani : — Mais il me tuera ! Cette scène étrange rendit le sculpteur tout confus. La raison lui revint. Il resta d’abord immobile ; puis il retrouva la parole, s’assit auprès de sa maîtresse et protesta de son respect. Il trouva la force de donner le change à sa passion en disant à cette femme les discours les plus exaltés ; et, pour peindre son amour, il déploya les trésors de cette éloquence magique, officieux interprète que les femmes refusent rarement de croire. Au moment où les premières lueurs du matin surprirent les convives, une femme proposa d’aller à Frascati. Tous accueillirent par de vives acclamations l’idée de passer la journée à la villa Ludovisi. Vitagliani descendit pour louer des voitures. Sarrasine eut le bonheur de conduire la Zambinella dans un phaéton. Une fois sortis de Rome la gaieté, un moment réprimée par les combats que chacun avait livrés au sommeil, se réveilla soudain. Hommes et femmes, tous paraissaient habitués à cette vie étrange, à ces plaisirs continus, à cet entraînement d’artiste qui fait de la vie une fête perpétuelle où l’on rit sans arrière-pensées. La compagne du sculpteur était la seule qui parût abattue. — Êtes-vous malade ? lui dit Sarrasine. Aimeriez-vous mieux rentrer chez vous ? — Je ne suis pas assez forte pour supporter tous ces excès, répondit-elle. J’ai besoin de grands ménagements ; mais, près de vous, je me sens si bien ! Sans vous, je ne serais pas restée à ce souper ; une nuit passée me fait perdre toute ma fraîcheur. — Vous êtes si délicate ! reprit Sarrasine en contemplant les traits mignons de cette charmante créature. — Les orgies m’abîment la voix. — Maintenant que nous sommes seuls, s’écria l’artiste, et que vous n’avez plus à craindre l’effervescence de ma passion, dites-moi que vous m’aimez. — Pourquoi ? répliqua-t-elle, à quoi bon ? Je vous ai semblé jolie. Mais vous êtes Français, et votre sentiment passera. Oh ! vous ne m’aimeriez pas comme je voudrais être aimée. — Comment ! — Sans but de passion vulgaire, purement. J’abhorre les hommes encore plus peut-être que je ne hais les femmes. J’ai besoin de me réfugier dans l’amitié. Le monde est désert pour moi. Je suis une créature maudite, condamnée à comprendre le bonheur,