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d’elle, et l’entretint de musique en la louant sur son prodigieux talent ; mais sa voix tremblait d’amour, de crainte et d’espérance. — Que craignez-vous ? lui dit Vitagliani, le chanteur le plus célèbre de la troupe. Allez, vous n’avez pas un seul rival à craindre ici. Après avoir parlé, le ténor sourit silencieusement. Ce sourire se répéta sur les lèvres de tous les convives, dont l’attention avait une certaine malice cachée dont ne devait pas s’apercevoir un amoureux. Cette publicité fut comme un coup de poignard que Sarrasine aurait soudainement reçu dans le cœur. Quoique doué d’une certaine force de caractère, et bien qu’aucune circonstance ne dût influer sur son amour, il n’avait peut-être pas encore songé que Zambinella était presque une courtisane, et qu’il ne pouvait pas avoir tout à la fois les jouissances pures qui rendent l’amour d’une jeune fille chose si délicieuse, et les emportements fougueux par lesquels une femme de théâtre fait acheter les trésors de sa passion. Il réfléchit et se résigna. Le souper fut servi. Sarrasine et la Zambinella se mirent sans cérémonie à côté l’un de l’autre. Pendant la moitié du festin, les artistes gardèrent quelque mesure, et le sculpteur put causer avec la cantatrice. Il lui trouva de l’esprit, de la finesse ; mais elle était d’une ignorance surprenante, et se montra faible et superstitieuse. La délicatesse de ses organes se reproduisait dans son entendement. Quand Vitagliani déboucha la première bouteille de vin de Champagne, Sarrasine lut dans les yeux de sa voisine une crainte assez vive de la petite détonation produite par le dégagement du gaz. Le tressaillement involontaire de cette organisation féminine fut interprété par l’amoureux artiste comme l’indice d’une excessive sensibilité. Cette faiblesse charma le Français. Il entre tant de protection dans l’amour d’un homme ! — Vous disposerez de ma puissance comme d’un bouclier ! Cette phrase n’est-elle pas écrite au fond de toutes les déclarations d’amour ? Sarrasine, trop passionné pour débiter des galanteries à la belle Italienne, était, comme tous les amants, tour à tour grave, rieur ou recueilli. Quoiqu’il parût écouter les convives, il n’entendait pas un mot de ce qu’ils disaient, tant il s’adonnait au plaisir de se trouver près d’elle, de lui effleurer la main, de la servir. Il nageait dans une joie secrète. Malgré l’éloquence de quelques regards mutuels, il fut étonné de la réserve dans laquelle la Zambinella se tint avec lui. Elle avait bien commencé la première à lui presser le pied et à l’agacer avec la malice d’une femme libre et amoureuse ; mais sou-