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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

tendresse, il prenait son compagnon par la chaîne, et quand il l’en avait meurtrie dans les meurtrissures, royal ingrat disait : — T’ai-je fait mal ?

Ces menteuses caresses, ces déguisements eurent quelquefois des suites déshonorantes pour Dinah qui croyait à des retours de tendresse. Hélas ! la mère cédait avec une honteuse facilité la place à Didine. Elle se sentit comme un jouet entre les mains de cet homme, et elle finit par se dire : — Eh ! bien, je veux être son jouet ! en y trouvant des plaisirs aigus, des jouissances de damné.

Quand cette femme d’un esprit si viril, se jeta par la pensée dans la solitude, elle sentit son courage défaillir. Elle préféra les supplices prévus, inévitables de cette intimité féroce, à la privation de jouissances d’autant plus exquises qu’elles naissaient au milieu de remords, de luttes épouvantables avec elle-même, de non qui se changeaient en oui ! Ce fut à tout moment la goutte d’eau saumâtre trouvée dans le désert, bue avec plus de délices que le voyageur n’en goûte à savourer les meilleurs vins à la table d’un prince. Quand Dinah se disait à minuit : — Rentrera-t-il, ne rentrera-t-il pas ? elle ne renaissait qu’au bruit connu des bottes d’Étienne, elle reconnaissait sa manière de sonner. Souvent elle essayait des voluptés comme d’un frein, elle se plaisait à lutter avec ses rivales, à ne leur rien laisser dans ce cœur rassasié. Combien de fois joua-t-elle la tragédie du Dernier Jour d’un Condamné, se disant : — Demain, nous nous quitterons ! Et combien de fois un mot, un regard, une caresse empreinte de naïveté la fit-elle retomber dans l’amour ? Ce fut souvent terrible ! elle tourna plus d’une fois autour du suicide en tournant autour de ce gazon parisien d’où s’élevaient des fleurs pâles !… Elle n’avait pas, enfin, épuisé l’immense trésor de dévouement et d’amour que les femmes aimantes ont dans le cœur. Adolphe était sa Bible, elle l’étudiait ; car, par-dessus toutes choses, elle ne voulait pas être Ellénore. Elle évita les larmes, se garda de toutes les amertumes si savamment décrites par le critique auquel on doit l’analyse de cette œuvre poignante, et dont la glose paraissait à Dinah presque supérieure au livre. Aussi relisait-elle souvent le magnifique article du seul critique qu’ait eu la Revue des Deux-Mondes, et qui se trouve en tête de la nouvelle édition d’Adolphe.

— « Non, se disait-elle en en répétant les fatales paroles, non, je ne donnerai pas à mes prières la forme du comman-