Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
491
LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

Après ces quatre années d’intimité, l’amour de cette femme avait fini par réunir toutes les nuances découvertes par notre esprit d’analyse et que la société moderne a créées, un des hommes les plus remarquables de ce temps, dont la perte récente afflige encore les lettres, Beyle (Stendhal) les a, le premier, parfaitement caractérisées. Lousteau produisait sur Dinah cette vive commotion, explicable par le magnétisme, qui met en désarroi les forces de l’âme, de l’esprit et du corps, qui détruit tout principe de résistance chez les femmes. Un regard de Lousteau, sa main posée sur celle de Dinah la rendaient tout obéissance. Une parole douce, un sourire de cet homme fleurissaient l’âme de cette pauvre femme, émue ou attristée par la caresse ou par la froideur de ses yeux. Lorsqu’elle lui donnait le bras en marchant à son pas, dans la rue ou sur le boulevard, elle était si bien fondue en lui qu’elle perdait la conscience de son moi. Charmée par l’esprit, magnétisée par les manières de ce garçon, elle ne voyait que de légers défauts dans ses vices. Elle aimait les bouffées de cigare que le vent lui apportait du jardin dans la chambre, elle allait les respirer, elle n’en faisait pas une grimace, elle se cachait pour en jouir. Elle haïssait le libraire ou le directeur de journal qui refusait à Lousteau de l’argent en objectant l’énormité des avances déjà faites. Elle allait jusqu’à comprendre que ce bohémien écrivît une nouvelle dont le prix était à recevoir, au lieu de la donner en paiement de l’argent reçu. Tel est sans doute le véritable amour, il comprend toutes les manières d’aimer : amour de cœur, amour de tête, amour-passion, amour-caprice, amour-goût, selon les définitions de Beyle. Didine aimait tant, qu’en certains moments où son sens critique, si juste, si continuellement exercé depuis son séjour à Paris, lui faisait voir clair dans l’âme de Lousteau, la sensation l’emportait sur la raison, et lui suggérait des excuses.

— Et moi, lui répondit-elle, que suis-je ? une femme qui s’est mise en dehors du monde. Quand je manque à l’honneur des femmes, pourquoi ne me sacrifierais-tu pas un peu de l’honneur des hommes ? Est-ce que nous ne vivons pas en dehors des conventions sociales ? Pourquoi ne pas accepter de moi ce que Nathan accepte de Florine ? nous compterons quand nous nous quitterons, et… tu sais !… la mort seule nous séparera. Ton honneur, Étienne, c’est ma félicité ; comme le mien est ma constance et ton bonheur. Si je ne te rends pas heureux, tout est dit. Si je te donne une peine, con-