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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

les plus distingués du grand monde. La solitude où restait Dinah fut un supplice d’autant plus grand, qu’elle ne sut pas se faire une contenance avec sa lorgnette en examinant les loges, elle eut beau prendre une pose noble et pensive, laisser son regard dans le vide, elle se sentait trop le point de mire de tous les yeux ; elle ne put cacher sa préoccupation, elle fut un peu provinciale, elle étala son mouchoir, elle fit convulsivement des gestes qu’elle s’était interdits. Enfin, dans l’entr’acte du second au troisième acte, un homme se fit ouvrir la loge de Dinah ! Monsieur de Clagny se montra respectueux, mais triste.

— Je suis heureuse de vous voir pour vous exprimer tout le plaisir que m’a causé votre promotion, dit-elle.

— Eh ! madame, pour qui suis-je venu à Paris ?…

— Comment ? dit-elle. Serais-je donc pour quelque chose dans votre nomination ?

— Pour tout. Dès que vous n’avez plus habité Sancerre, Sancerre m’est devenu insupportable, j’y mourais…

Dinah tendit la main au Substitut.

— Votre amitié sincère me fait du bien, dit-elle. Je suis dans une situation à choyer mes vrais amis, maintenant je sais quel est leur prix… Je croyais avoir perdu votre estime ; mais le témoignage que vous m’en donnez par votre visite me touche plus que vos dix ans d’attachement.

— Vous êtes le sujet de la curiosité de toute la salle, reprit le Substitut. Ah ! chère, était-ce là votre rôle ? Ne pouviez-vous pas être heureuse et rester honorée ? Je viens d’entendre dire que vous êtes la maîtresse de monsieur Étienne Lousteau, que vous vivez ensemble maritalement !… Vous avez rompu pour toujours avec la Société, même pour le temps où, si vous épousiez votre amant, vous auriez besoin de cette considération que vous méprisez aujourd’hui… Ne devriez-vous pas être chez vous, avec votre mère qui vous aime assez pour vous couvrir de son égide ; au moins les apparences seraient gardées…

— J’ai le tort d’être ici, répondit-elle, voilà tout. J’ai dit adieu sans retour à tous les avantages que le monde accorde aux femmes qui savent accommoder leur bonheur avec les convenances. Mon abnégation est si complète que j’aurais voulu tout abattre autour de moi pour faire de mon amour un vaste désert plein de Dieu, de lui, et de moi… Nous nous sommes fait l’un à l’autre