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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

l’oreille de laquelle avaient retenti le froufrou de la robe de soie et les murmures d’une voix de femme.

— Il y a, mon ange, s’écria Lousteau, que nous sommes indissolublement unis… On vient de m’apporter une réponse verbale à la lettre que tu m’as vu écrire et par laquelle je rompais mon mariage…

— C’est là cette partie dont tu te dégageais ?

— Oui !

— Oh ! je serai plus que ta femme, je te donne ma vie, je veux être ton esclave !… dit la pauvre créature abusée. Je ne croyais pas qu’il me fût possible de t’aimer davantage !… Je ne serai donc pas un accident dans ta vie, je serai toute ta vie ?…

— Oui, ma belle, ma noble Didine…

— Jure-moi, reprit-elle, que nous ne pourrons être séparés que par la mort !…

Lousteau voulut embellir son serment de ses plus séduisantes chatteries. Voici pourquoi.

De la porte de son appartement où il avait reçu le baiser d’adieu de la lorette à celle du salon où gisait la Muse étourdie de tant de chocs successifs, Lousteau s’était rappelé l’état précaire du petit La Baudraye, sa fortune, et ce mot de Bianchon sur Dinah : — Ce sera une riche veuve ! Et il se dit en lui-même : — J’aime mieux cent fois madame de La Baudraye que Félicie pour femme !

Aussi son parti fut-il promptement pris : il décida de jouer l’amour avec une admirable perfection, et son lâche calcul, sa violente passion eurent de fâcheux résultats. En effet, pendant son voyage de Sancerre à Paris, madame de La Baudraye avait médité de vivre dans un appartement à elle, à deux pas de Lousteau ; mais les preuves d’amour que son amant venait de lui donner en renonçant à ce bel avenir, et surtout le bonheur si complet des premiers jours de ce mariage illégal l’empêchèrent de parler de cette séparation. Le lendemain devait être et fut une fête au milieu de laquelle une pareille proposition faite à son ange eût produit la plus horrible discordance. De son côté Lousteau, qui voulait tenir Dinah dans sa dépendance, la maintint dans une ivresse continuelle, à coups de fêtes. Ces événements empêchèrent donc ces deux êtres si spirituels d’éviter le bourbier où ils tombèrent, celui d’une cohabitation insensée dont malheureusement tant d’exemples existent, à Paris, dans le monde littéraire.