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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Étienne écrivit à Bixiou.

« Mon cher, ma baronne me tombe sur les bras, et va me faire manquer mon mariage si nous ne mettons pas en scène une des ruses les plus connues des mille et un vaudevilles du Gymnase. Donc, je compte sur toi, pour venir, en vieillard de Molière, gronder ton neveu Léandre sur sa sottise, pendant que la dixième Muse sera cachée dans ma chambre ; il s’agit de la prendre par les sentiments, frappe fort, sois méchant, blesse-la. Quant à moi, tu comprends, j’exprime un dévouement aveugle. Viens, si tu peux, à sept heures.

Tout à toi,
É. LOUSTEAU. »

Une fois cette lettre envoyée par un commissionnaire à l’homme de Paris qui se plaisait le plus à ces railleries que les artistes ont nommées des charges, Lousteau parut empressé d’installer chez lui la Muse de Sancerre ; il s’occupa de l’emménagement de tous les effets qu’elle avait apportés, il la mit au fait des êtres et des choses du logis avec une bonne foi si parfaite, avec un plaisir qui débordait si bien en paroles et en caresses, que Dinah put se croire la femme du monde la plus aimée. Cet appartement où les moindres choses portaient le cachet de la mode lui plaisait beaucoup plus que son château d’Anzy. Paméla Migeon, cette intelligente petite fille de quatorze ans, fut questionnée par le journaliste à cette fin de savoir si elle voulait devenir la femme de chambre de l’imposante baronne. Paméla ravie entra sur-le-champ en fonctions en allant commander le dîner chez un restaurateur du boulevard. Dinah comprit alors quel était le dénûment caché sous le luxe purement extérieur de ce ménage de garçon en n’y voyant aucun des ustensiles nécessaires à la vie. Tout en prenant possession des armoires, des commodes, elle forma les plus doux projets, elle changerait les mœurs de Lousteau, elle le rendrait casanier, elle lui compléterait son bien-être au logis. La nouveauté de sa position en cachait le malheur à Dinah, qui voyait dans un mutuel amour l’absolution de sa faute, et qui ne portait pas encore les yeux au delà de cet appartement. Paméla, dont l’intelligence était égale à celle d’une lorette, alla droit chez madame Schontz lui demander de l’argenterie en lui racontant ce qui venait d’arriver à Lousteau. Après avoir tout mis chez elle à la disposition de Paméla, madame Schontz courut chez