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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

voir, eut plus d’abandon avec un homme qui avait connu les secrets de la vie de son père, qu’il n’en aurait eu avec tout autre. Le lendemain Lousteau fut présenté, comme acquéreur de la maison rue Saint-Lazare, au sein de la famille Cardot, et il y dîna trois jours après.

Cardot demeurait dans une vieille maison auprès de la place du Châtelet. Tout était cossu chez lui. L’Économie y mettait les moindres dorures sous des gazes vertes. Les meubles étaient couverts de housses. Si l’on n’éprouvait aucune inquiétude sur la fortune de la maison, on y éprouvait une envie de bâiller dès la première demi-heure. L’ennui siégeait sur tous les meubles. Les draperies pendaient tristement. La salle à manger ressemblait à celle d’Harpagon. Lousteau n’eût pas connu Malaga d’avance, à la seule inspection de ce ménage il aurait deviné que l’existence du Notaire se passait sur un autre théâtre. Le journaliste aperçut une grande jeune personne blonde, à l’œil bleu, timide et langoureux à la fois. Il plut au frère aîné, quatrième clerc de l’Étude, que la gloire littéraire attirait dans ses piéges, et qui devait être le successeur de Cardot. La sœur cadette avait douze ans. Lousteau, caparaçonné d’un petit air jésuite, fit l’homme religieux et monarchique avec la mère, il fut sobre, doucereux, posé, complimenteur.

Vingt jours après la présentation, au quatrième dîner, Félicie Cardot, qui étudiait Lousteau du coin de l’œil, alla lui offrir sa tasse de café dans une embrasure de fenêtre et lui dit à voix basse, les larmes dans les yeux : — Toute ma vie, monsieur, sera employée à vous remercier de votre dévouement pour une pauvre fille…

Lousteau fut ému, tant il y avait de choses dans le regard, dans l’accent, dans l’attitude. — Elle ferait le bonheur d’un honnête homme, se dit-il en lui pressant la main pour toute réponse.

Madame Cardot regardait son gendre comme un homme plein d’avenir ; mais, parmi toutes les belles qualités qu’elle lui supposait, elle était enchantée de sa moralité. Soufflé par le roué Notaire, Étienne avait donné sa parole de n’avoir ni enfant naturel ni aucune liaison qui pût compromettre l’avenir de la chère Félicie.

— Vous pouvez me trouver un peu exagérée, disait la dévote au journaliste ; mais quand on donne une perle comme ma Félicie à un homme, on doit veiller à son avenir. Je ne suis pas de ces mères qui sont enchantées de se débarrasser de leurs filles. Monsieur Cardot va de l’avant, il presse le mariage de sa fille, il le voudrait fait. Nous ne différons qu’en ceci… Quoiqu’avec un homme comme vous,