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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Pauvre Bianchon, il est sur la route de Paris, quel noble cœur ! dit Lousteau.

— Oh ! oui, répondit madame de La Baudraye, il est grand et délicat, celui-là…

— Nous étions si gais en partant, dit Lousteau, vous voilà souffrante, et vous me parlez avec amertume, et pourquoi ?… N’êtes-vous donc pas accoutumée à vous entendre dire que vous êtes belle et spirituelle ? moi, je le déclare devant Gatien, je renonce à Paris, je vais rester à Sancerre et grossir le nombre de vos cavaliers-servants. Je me suis senti si jeune dans mon pays natal, j’ai déjà oublié Paris et ses corruptions, et ses ennuis, et ses fatigants plaisirs… Oui, ma vie me semble comme purifiée…

Dinah laissa parler Lousteau sans le regarder ; mais il y eut un moment où l’improvisation de ce serpent devint si spirituelle sous l’effort qu’il fit pour singer la passion par des phrases et par des idées dont le sens, caché pour Gatien, éclatait dans le cœur de Dinah, qu’elle leva les yeux sur lui. Ce regard parut combler de joie Lousteau qui redoubla de verve et fit enfin rire madame de La Baudraye. Lorsque, dans une situation où son orgueil est blessé si cruellement, une femme a ri, tout est compromis. Quand on entra dans l’immense cour sablée et ornée de son boulingrin à corbeilles de fleurs qui fait si bien valoir la façade d’Anzy, le journaliste disait : — Lorsque les femmes nous aiment, elles nous pardonnent tout, même nos crimes ; lorsqu’elles ne nous aiment pas, elles ne nous pardonnent rien, pas même nos vertus ! Me pardonnez-vous ? ajouta-t-il à l’oreille de madame de La Baudraye en lui serrant le bras sur son cœur par un geste plein de tendresse. Dinah ne put s’empêcher de sourire.

Pendant le dîner et pendant le reste de la soirée, Lousteau fut d’une gaieté, d’un entrain charmant ; mais, tout en peignant ainsi son ivresse, il se livrait par moments à la rêverie en homme qui paraissait absorbé par son bonheur. Après le café, madame de La Baudraye et sa mère laissèrent les hommes se promener dans les jardins. Monsieur Gravier dit alors au Procureur du Roi : — Avez-vous remarqué que madame de La Baudraye, qui est partie en robe d’organdi, nous est revenue en robe de velours ?

— En montant en voiture à Cosne, la robe s’est accrochée à un bouton de cuivre de la calèche et s’est déchirée du haut en bas, répondit Lousteau.