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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

signe éloquent. Nous nous trouvâmes dans la rue où deux chevaux nous attendaient ; nous montâmes chacun le nôtre, mon Espagnol s’empara de ma bride, la tint dans sa main gauche, prit entre ses dents les guides de sa monture, car il avait son paquet sanglant dans sa main droite, et nous partîmes avec la rapidité de l’éclair. Il me fut impossible de remarquer le moindre objet qui pût me servir à me faire reconnaître la route que nous parcourions. Au petit jour je me trouvai près de ma porte et l’Espagnol s’enfuit en se dirigeant vers la porte d’Atocha. — Et vous n’avez rien aperçu qui puisse vous faire soupçonner à quelle femme vous aviez affaire ? dit le colonel au chirurgien. — Une seule chose, reprit-il. Quand je disposai l’inconnue, je remarquai sur son bras, à peu près au milieu, une petite envie, grosse comme une lentille et environnée de poils bruns. En ce moment l’indiscret chirurgien pâlit ; tous les yeux fixés sur les siens en suivirent la direction : nous vîmes alors un Espagnol dont le regard brillait dans une touffe d’orangers. En se voyant l’objet de notre attention, cet homme disparut avec une légèreté de sylphe. Un capitaine s’élança vivement à sa poursuite. — Sarpejeu, mes amis ! s’écria le chirurgien, cet œil de basilic m’a glacé. J’entends sonner des cloches dans mes oreilles ! Recevez mes adieux, vous m’enterrerez ici ! — Es-tu bête ? dit le colonel Hulot. Falcon s’est mis à la piste de l’Espagnol qui nous écoutait, il saura bien nous en rendre raison. — Hé ! bien, s’écrièrent les officiers en voyant revenir le capitaine tout essoufflé. — Au diable ! répondit Falcon, il a passé, je crois, à travers les murailles. Comme je ne pense pas qu’il soit sorcier, il est sans doute de la maison ! il en connaît les passages, les détours, et m’a facilement échappé. — Je suis perdu ! dit le chirurgien d’une voix sombre. — Allons, tiens-toi calme, Béga (il s’appelait Béga), lui répondis-je, nous nous casernerons à tour de rôle chez toi jusqu’à ton départ. Ce soir nous t’accompagnerons. En effet, trois jeunes officiers qui avaient perdu leur argent au jeu reconduisirent le chirurgien à son logement, et l’un de nous s’offrit à rester chez lui. Le surlendemain Béga avait obtenu son renvoi en France, il faisait tous ses préparatifs pour partir avec une dame à laquelle Murat donnait une forte escorte ; il achevait de dîner en compagnie de ses amis, lorsque son domestique vint le prévenir qu’une jeune dame voulait lui parler. Le chirurgien et les trois officiers descendirent aussitôt en craignant quelque piége. L’inconnue ne put que dire