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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Votre raisonnement est un sacrilége, répondit le Procureur du Roi.

— D’accord, dit le journaliste, mais je ne le fais pas dans une mauvaise intention. Vous ne pouvez supprimer les faits historiques. Selon moi, Pilate condamnant Jésus-Christ, Anytus, organe du parti aristocratique d’Athènes et demandant la mort de Socrate, représentaient des sociétés établies, se croyant légitimes, revêtues de pouvoirs consentis, obligées de se défendre. Pilate et Anytus étaient alors aussi logiques que les procureurs-généraux qui demandaient la tête des sergents de la Rochelle et qui font tomber aujourd’hui la tête des républicains armés contre le trône de juillet, et celles des novateurs dont le but est de renverser à leur profit les sociétés sous prétexte de les mieux organiser. En présence des grandes familles d’Athènes et de l’empire romain, Socrate et Jésus étaient criminels ; pour ces vieilles aristocraties, leurs opinions ressemblaient à celles de la Montagne : supposez leurs sectateurs triomphants, ils eussent fait un léger 93 dans l’empire romain ou dans l’Attique.

— Où voulez-vous en venir, monsieur ? dit le Procureur du Roi.

— À l’adultère ! Ainsi, monsieur, un bouddhiste en fumant sa pipe peut parfaitement dire que la religion des chrétiens est fondée sur l’adultère ; comme nous croyons que Mahomet est un imposteur, que son Coran est une réimpression de la Bible et de l’Évangile, et que Dieu n’a jamais eu la moindre intention de faire, de ce conducteur de chameaux, son prophète.

— S’il y avait en France beaucoup d’hommes comme vous, et il y en a malheureusement trop, tout gouvernement y serait impossible.

— Et il n’y aurait pas de religion, dit madame Piédefer dont le visage avait fait d’étranges grimaces pendant cette discussion.

— Tu leur causes une peine infinie, dit Bianchon à l’oreille d’Étienne, ne parle pas religion, tu leur dis des choses à les renverser.

— Si j’étais écrivain ou romancier, dit monsieur Gravier, je prendrais le parti des maris malheureux. Moi qui ai vu beaucoup de choses et d’étranges choses, je sais que dans le nombre des maris trompés il s’en trouve dont l’attitude ne manque point d’énergie, et qui, dans la crise, sont très-dramatiques, pour employer un de vos mots, monsieur, dit-il en regardant Étienne.

— Vous avez raison, mon cher monsieur Gravier, dit Lousteau,