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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Voilà les riches, s’écria Dinah stupéfaite, ils tirent de leur bourse une pièce d’or comme les pauvres en tirent un liard… Je ne sais, dit-elle en se tournant vers Lousteau, si ce ne sera pas abuser de l’hospitalité que de vous demander quelques stances…

— Ah ! madame, vous me flattez, Bianchon est un grand homme ; mais moi, je suis trop obscur !… Dans vingt ans d’ici, mon nom serait plus difficile à expliquer que celui de monsieur le Procureur du Roi dont la pensée inscrite sur votre album indiquera certainement un Montesquieu méconnu. D’ailleurs il me faudrait au moins vingt-quatre heures pour improviser quelque méditation bien amère ; car, je ne sais peindre que ce que je ressens…

— Je voudrais vous voir me demander quinze jours, dit gracieusement madame de La Baudraye en tendant son album, je vous garderais plus longtemps.

Le lendemain, à cinq heures du matin, les hôtes du château d’Anzy furent sur pied. Le petit La Baudraye avait organisé pour les Parisiens une chasse ; moins pour leur plaisir que par vanité de propriétaire, il était bien aise de leur faire arpenter ses bois et de leur faire traverser les douze cent hectares de landes qu’il rêvait de mettre en culture : entreprise qui voulait quelque cent mille francs, mais qui pouvait porter de trente à soixante mille francs les revenus de la terre d’Anzy.

— Savez-vous pourquoi le Procureur du Roi n’a pas voulu venir chasser avec nous ? dit Gatien Boirouge à monsieur Gravier.

— Mais il nous l’a dit, il doit tenir l’audience aujourd’hui, car le Tribunal juge correctionnellement, répondit le Receveur des Contributions.

— Et vous croyez cela ? s’écria Gatien. Eh ! bien, mon papa m’a dit : — Vous n’aurez pas monsieur Lebas de bonne heure, car monsieur de Clagny a prié son substitut de tenir l’audience.

— Ah ! ah ! fit Gravier, dont la physionomie changea, et monsieur de La Baudraye qui part pour la Charité !

— Mais pourquoi vous mêlez-vous de ces affaires ? dit Horace Bianchon à Gatien.

— Horace a raison, dit Lousteau. Je ne comprends pas comment vous vous occupez autant les uns des autres, vous perdez votre temps à des riens.

Horace Bianchon regarda Étienne Lousteau comme pour lui dire que les malices de feuilleton, les bons mots de petit journal étaient