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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

point les changements insensibles de sa personne. Ce phénomène est un des résultats naturels de la vie de province. Malgré le mariage, une jeune fille reste encore pendant quelque temps belle, la ville en est fière ; mais chacun la voit tous les jours, et quand on se voit tous les jours, l’observation se blase. Si, comme madame de La Baudraye, elle perd un peu de son éclat, on s’en aperçoit à peine. Il y a mieux, une petite rougeur, on la comprend, on s’y intéresse. Une petite négligence est adorée. D’ailleurs la physionomie est si bien étudiée, si bien comprise, que les légères altérations sont à peine remarquées, et peut-être finit-on par les regarder comme des grains de beauté. Quand Dinah ne renouvela plus sa toilette par saison, elle parut avoir fait une concession à la philosophie du pays.

Il en est du parler, des façons du langage, et des idées, comme du sentiment : l’esprit se rouille aussi bien que le corps, s’il ne se renouvelle pas dans le milieu parisien ; mais ce en quoi la vie de province se signe le plus, est le geste, la démarche, les mouvements, qui perdent cette agilité que Paris communique incessamment. La femme de province est habituée à marcher, à se mouvoir dans une sphère sans accidents, sans transitions ; elle n’a rien à éviter, elle va comme les recrues, dans Paris, en ne se doutant pas qu’il y ait des obstacles : car il ne s’en trouve pas pour elle dans sa province où elle est connue, où elle est toujours à sa place et où tout le monde lui fait place. La femme perd alors le charme de l’imprévu. Enfin, avez-vous remarqué le singulier phénomène de la réaction que produit sur l’homme la vie en commun ? Les êtres tendent, par le sens indélébile de l’imitation simiesque, à se modeler les uns sur les autres. On prend, sans s’en apercevoir, les gestes, les façons de parler, les attitudes, les airs, le visage les uns des autres, En six ans, Dinah se mit au diapason de sa société. En prenant les idées de monsieur de Clagny, elle en prit le son de voix ; elle imita sans s’en apercevoir les manières masculines en ne voyant que des hommes : elle crut se garantir de tous leurs ridicules en s’en moquant ; mais comme il arrive à certains railleurs, il resta quelques teintes de cette moquerie dans sa nature. Une Parisienne a trop d’exemples de bon goût pour que le phénomène contraire n’arrive pas. Ainsi, les femmes de Paris attendent l’heure et le moment de se faire valoir ; tandis que madame de La Baudraye, habituée à se mettre en scène, contracta je ne sais quoi de théâtral et de do-