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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

d’être pris pour les chevaliers d’honneur de cette reine par les gens présentés qui passaient une ou deux soirées à La Baudraye.

— Madame de La Baudraye est un fruit qu’il faut laisser mûrir, telle était l’opinion de monsieur Gravier qui attendait.

Quant au magistrat, il écrivait des lettres de quatre pages auxquelles Dinah répondait par des paroles calmantes en tournant après le dîner autour de son boulingrin, en s’appuyant sur le bras de son adorateur. Gardée par ces trois passions, madame de La Baudraye, d’ailleurs accompagnée de sa dévote mère, évita tous les malheurs de la médisance. Il fut si patent dans Sancerre qu’aucun de ces trois hommes n’en laissait un seul près de madame de La Baudraye que leur jalousie y donnait la comédie. Pour aller de la Porte-César à Saint-Thibault, il existe un chemin beaucoup plus court que celui des Grands-Remparts, et que dans les pays de montagnes on appelle une coursière, mais qui se nomme à Sancerre le Casse-cou. Ce nom indique assez un sentier tracé sur la pente la plus roide de la montagne, encombré de pierres et encaissé par les talus des clos de vignes. En prenant le Casse-cou, l’on abrège la route de Sancerre à La Baudraye. Les femmes, jalouses de la Sapho de Saint-Satur, se promenaient sur le Mail pour regarder ce Longchamps des autorités, que souvent elles arrêtaient en engageant dans quelque conversation tantôt le Sous-Préfet, tantôt le Procureur du Roi qui donnaient alors les marques d’une visible impatience ou d’une impertinente distraction. Comme du Mail on découvre les tourelles de La Baudraye, plus d’un jeune homme y venait contempler la demeure de Dinah en enviant le privilége des dix ou douze habitués qui passaient la soirée auprès de la reine du Sancerrois. Monsieur de La Baudraye eut bientôt remarqué l’ascendant que sa qualité de mari lui donnait sur les galants de sa femme, et il se servit d’eux avec la plus entière candeur, il obtint des dégrèvements de contribution, et gagna deux procillons. Dans tous ses litiges, il fit pressentir l’autorité du Procureur du Roi de manière à ne plus se rien voir contester, et il était difficultueux et processif en affaires comme tous les nains, mais toujours avec douceur.

Néanmoins, plus l’innocence de madame de La Baudraye éclatait, moins sa situation devenait possible aux yeux curieux des femmes. Souvent, chez la présidente Boirouge, les dames d’un certain âge discutaient pendant des soirées entières, entre elles bien entendu, sur le ménage La Baudraye. Toutes pressentaient un de