Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

des visites de quelques minutes, Dinah demanda la raison de ce phénomène à monsieur de Clagny.

— Vous êtes une femme trop supérieure pour que les autres femmes vous aiment, répondit le Procureur du Roi.

Monsieur Gravier, que la pauvre délaissée interrogea, se fit énormément prier pour lui dire : — Mais, belle dame, vous ne vous contentez pas d’être charmante, vous avez de l’esprit, vous êtes instruite, vous êtes au fait de tout ce qui s’écrit, vous aimez la poésie, vous êtes musicienne, et vous avez une conversation ravissante : les femmes ne pardonnent pas tant de supériorités !…

Les hommes dirent à monsieur de La Baudraye : — Vous qui avez une femme supérieure, vous êtes bien heureux… Et il finit par dire : — Moi qui ai une femme supérieure, je suis bien, etc…

Madame Piédefer, flattée dans sa fille, se permit aussi de dire des choses dans ce genre : — Ma fille, qui est une femme très-supérieure, écrivait hier à madame de Fontaine telles, telles choses.

Pour qui connaît le monde, la France, Paris, n’est-il pas vrai que beaucoup de célébrités se sont établies ainsi ?

Au bout de deux ans, vers la fin de l’année 1825, Dinah de La Baudraye fut accusée de ne vouloir recevoir que des hommes ; puis on lui fit un crime de son éloignement pour les femmes. Pas une de ses démarches, même la plus indifférente, ne passait sans être critiquée, ou dénaturée. Après avoir fait tous les sacrifices qu’une femme bien élevée pouvait faire, et avoir mis les procédés de son côté, madame de La Baudraye eut le tort de répondre à une fausse amie qui vint déplorer son isolement : — J’aime mieux mon écuelle vide que rien dedans !

Cette phrase produisit des effets terribles dans Sancerre, et fut, plus tard, cruellement retournée contre la Sapho de Saint-Satur, quand, en la voyant sans enfants après cinq ans de mariage, on se moqua du petit La Baudraye.

Pour faire comprendre cette plaisanterie de province, il est nécessaire de rappeler au souvenir de ceux qui l’ont connu, le Bailli de Ferrette, de qui l’on disait qu’il était l’homme le plus courageux de l’Europe parce qu’il osait marcher sur ses deux jambes, et qu’on accusait aussi de mettre du plomb dans ses souliers, pour ne pas être emporté par le vent. Monsieur de La Baudraye, petit homme jeune et quasi diaphane, eût été pris par le Bailli de Ferrette pour premier gentilhomme de sa chambre, si ce diplomate