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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

La rapide description que vous venez de lire prouve que l’isolement de Sancerre ira croissant, malgré les deux ponts qui la rattachent à Cosne. Sancerre, l’orgueil de la rive gauche, a tout au plus trois mille cinq cents âmes, tandis qu’on en compte aujourd’hui plus de six mille à Cosne. Depuis un demi-siècle, le rôle de ces deux villes assises en face l’une de l’autre a complétement changé. Cependant l’avantage de la situation appartient à la ville historique, où de toutes parts l’on jouit d’un spectacle enchanteur, où l’air est d’une admirable pureté, la végétation magnifique, et où les habitants en harmonie avec cette riante nature sont affables, bons compagnons et sans puritanisme, quoique les deux tiers de la population soient restés calvinistes.

Dans un pareil état de choses, si l’on subit les inconvénients de la vie des petites villes, si l’on se trouve sous le coup de cette surveillance officieuse qui fait de la vie privée une vie quasi publique ; en revanche, le patriotisme de localité, qui ne remplacera jamais l’esprit de famille, se déploie à un haut degré. Aussi la ville de Sancerre est-elle très-fière d’avoir vu naître une des gloires de la Médecine moderne, Horace Bianchon, et un auteur du second ordre, Étienne Lousteau, l’un des feuilletonistes les plus distingués. L’Arrondissement de Sancerre, choqué de se voir soumis à sept ou huit grands propriétaires, les hauts barons de l’Élection, essaya de secouer le joug électoral de la Doctrine, qui en a fait son bourg-pourri. Cette conjuration de quelques amours-propres froissés échoua par la jalousie que causait aux coalisés l’élévation future d’un des conspirateurs. Quand le résultat eut montré le vice radical de l’entreprise, on voulut y remédier en prenant l’un des deux hommes qui représentent glorieusement Sancerre à Paris, pour champion du pays aux prochaines élections.

Cette idée était extrêmement avancée pour notre pays, où, depuis 1830, la nomination des notabilités de clocher a fait de tels progrès que les hommes d’État deviennent de plus en plus rares à la Chambre élective. Aussi ce projet, d’une réalisation assez hypothétique, fut-il conçu par la femme supérieure de l’Arrondissement, dux femina facti, mais dans une pensée d’intérêt personnel. Cette pensée avait tant de racines dans le passé de cette femme et embrassait si bien son avenir, que sans un vif et succinct récit de sa vie antérieure, on la comprendrait difficilement. Sancerre s’enorgueillissait alors d’une femme supérieure, long-temps incomprise, mais qui,