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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Loire inonde les terres au bas de ces collines, en y laissant un limon jaune qui les fertilise, quand il ne les ensable pas à jamais par une de ces terribles crues également familières à la Vistule, cette Loire du Nord. La montagne au sommet de laquelle sont groupées les maisons de Sancerre, s’élève à une assez grande distance du fleuve pour que le petit port de Saint-Thibault puisse vivre de la vie de Sancerre. Là s’embarquent les vins, là se débarque le merrain, enfin toutes les provenances de la Haute et de la Basse-Loire.

À l’époque où cette histoire eut lieu, le pont de Cosne et celui de Saint-Thibault, deux ponts suspendus, étaient construits. Les voyageurs venant de Paris à Sancerre par la route d’Italie ne traversaient plus la Loire de Cosne à Saint-Thibault dans un bac, n’est-ce pas assez vous dire que le Chassez-croisez de 1830 avait eu lieu ; car la maison d’Orléans a partout choyé les intérêts matériels, mais à peu près comme ces maris qui font des cadeaux à leurs femmes avec l’argent de la dot.

Excepté la partie de Sancerre qui occupe le plateau, les rues sont plus ou moins en pente, et la ville est enveloppée de rampes, dites les Grands Remparts, nom qui vous indique assez les grands chemins de la ville. Au delà de ces remparts, s’étend une ceinture de vignobles. Le vin forme la principale industrie et le plus considérable commerce du pays qui possède plusieurs crus de vins généreux, pleins de bouquet, et assez semblables aux produits de la Bourgogne pour qu’à Paris les palais vulgaires s’y trompent. Sancerre trouve donc dans les cabarets parisiens une rapide consommation, assez nécessaire d’ailleurs à des vins qui ne peuvent pas se garder plus de sept à huit ans. Au-dessous de la ville, sont assis quelques villages, Fontenay, Saint-Satur qui ressemblent à des faubourgs, et dont la situation rappelle les gais vignobles de Neufchâtel en Suisse. La ville a conservé quelques traits de son ancienne physionomie, ses rues sont étroites et pavées en cailloux pris au lit de la Loire. On y voit encore de vieilles maisons. La tour, ce reste de la force militaire et de l’époque féodale, rappelle l’un des siéges les plus terribles de nos guerres de religion et pendant lequel les Calvinistes ont bien surpassé les farouches Caméroniens de Walter Scott.

La ville de Sancerre, riche d’un illustre passé, veuve de sa puissance militaire, est en quelque sorte vouée à un avenir infertile, car le mouvement commercial appartient à la rive droite de la Loire.