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— Hé ! bien, vous vous battrez à Vouvray, répondit le teinturier, et vous y resterez plus long-temps que vous ne croyez.

Gaudissart s’en alla, commentant cette réponse, qu’il trouvait pleine de mauvais présages. Pour la première fois de sa vie, le Voyageur ne dîna pas joyeusement. Le bourg de Vouvray fut mis en émoi par l’aventure de Gaudissart et de monsieur Vernier. Il n’avait jamais été question de duel dans ce benin pays.

— Monsieur Mitouflet, je dois me battre demain avec monsieur Vernier, je ne connais personne ici, voulez-vous me servir de témoin ? dit Gaudissart à son hôte.

— Volontiers, répondit l’aubergiste.

À peine Gaudissart eut-il achevé de dîner que madame Fontanieu et l’adjoint de Vouvray vinrent au Soleil-d’Or, prirent à part Mitouflet, et lui représentèrent combien il serait affligeant pour le canton qu’il y eût une mort violente ; ils lui peignirent l’affreuse situation de la bonne madame Vernier, en le conjurant d’arranger cette affaire, de manière à sauver l’honneur du pays.

— Je m’en charge, dit le malin aubergiste.

Le soir Mitouflet monta chez le voyageur des plumes, de l’encre et du papier.

— Que m’apportez-vous là ? demanda Gaudissart.

— Mais vous vous battez demain, dit Mitouflet ; j’ai pensé que vous seriez bien aise de faire quelques petites dispositions ; enfin que vous pourriez avoir à écrire, car on a des êtres qui nous sont chers. Oh ! cela ne tue pas. Êtes-vous fort aux armes ? voulez-vous vous rafraîchir la main ? j’ai des fleurets.

— Mais volontiers.

Mitouflet revint avec des fleurets et deux masques.

— Voyons !

L’hôte et le Voyageur se mirent tous deux en garde ; Mitouflet, en sa qualité d’ancien prévôt des grenadiers, poussa soixante-huit bottes à Gaudissart, en le bousculant et l’adossant à la muraille.

— Diable ! vous êtes fort, dit Gaudissart essoufflé.

— Monsieur Vernier est plus fort que je ne le suis.

— Diable ! diable ! je me battrai donc au pistolet.

— Je vous le conseille, parce que, voyez-vous, en prenant de gros pistolets d’arçon et les chargeant jusqu’à la gueule, on ne risque jamais rien, les pistolets écartent, et chacun se retire en