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dix, vingt, cinquante chevaux. Ah ! ceci est un progrès, un mouvement vers un meilleur ordre de choses, mouvement dû à l’activité de notre époque, essentiellement progressive, ainsi que je vous le prouverai, quand nous en viendrons aux idées d’une plus logique coordonnation des intérêts sociaux. Je vais m’expliquer par des exemples sensibles. Je quitte le raisonnement purement abstrait, ce que nous nommons, nous autres, la mathématique des idées. Au lieu d’être un propriétaire vivant de vos rentes, vous êtes un peintre, un musicien, un artiste, un poète…

— Je suis peintre, dit le fou en manière de parenthèse.

— Eh ! bien, soit, puisque vous comprenez bien ma métaphore, vous êtes peintre, vous avez un bel avenir, un riche avenir. Mais je vais plus loin…

En entendant ces mots, le fou examina Gaudissart d’un air inquiet pour voir s’il voulait sortir, et ne se rassura qu’en l’apercevant toujours assis.

— Vous n’êtes même rien du tout, dit Gaudissart en continuant, mais vous vous sentez…

— Je me sens, dit le fou.

— Vous vous dites : Moi, je serai ministre. Eh ! bien, vous peintre, vous artiste, homme de lettres, vous ministre futur, vous chiffrez vos espérances, vous les taxez, vous vous tarifez je suppose à cent mille écus…

— Vous m’apportez donc cent mille écus ? dit le fou.

— Oui, monsieur, vous allez voir. Ou vos héritiers les palperont nécessairement si vous venez à mourir, puisque l’entreprise s’engage à les leur compter, ou vous les touchez par vos travaux d’art, par vos heureuses spéculations si vous vivez. Si vous vous êtes trompé, vous pouvez même recommencer. Mais, une fois que vous avez, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, fixé le chiffre de votre capital intellectuel, car c’est un capital intellectuel, saisissez bien ceci, intellectuel…

— Je comprends, dit le fou.

— Vous signez un contrat d’Assurance avec l’administration qui vous reconnaît une valeur de cent mille écus, à vous peintre…

— Je suis peintre, dit le fou.

— Non, reprit Gaudissart, à vous musicien, à vous ministre, et s’engage à les payer à votre famille, à vos héritiers ; si, par votre mort, les espérances, le pot au feu fondé sur le capital intellectuel