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le recevoir dans une chambre nue, quitta promptement un cabinet plein de papiers où il travaillait sans cesse, et où ne pénétrait personne, le vicaire eut presque honte de parler des taquineries de mademoiselle Gamard à un homme qui lui paraissait si sérieusement occupé. Mais après avoir subi toutes les angoisses de ces délibérations intérieures que les gens humbles, indécis ou faibles éprouvent même pour des choses sans importance, il se décida, non sans avoir le cœur grossi par des pulsations extraordinaires, à expliquer sa position à l’abbé Troubert. Le chanoine écouta d’un air grave et froid, essayant, mais en vain, de réprimer certains sourires qui, peut-être, eussent révélé les émotions d’un contentement intime à des yeux intelligents. Une flamme parut s’échapper de ses paupières lorsque Birotteau lui peignit, avec l’éloquence que donnent les sentiments vrais, la constante amertume dont il était abreuvé ; mais Troubert mit la main au-dessus de ses yeux par un geste assez familier aux penseurs, et garda l’attitude de dignité qui lui était habituelle. Quand le vicaire eut cessé de parler, il aurait été bien embarrassé s’il avait voulu chercher sur la figure de Troubert, alors marbrée par des taches plus jaunes encore que ne l’était ordinairement son teint bilieux, quelques traces des sentiments qu’il avait dû exciter chez ce prêtre mystérieux. Après être resté pendant un moment silencieux, le chanoine fit une de ces réponses dont toutes les paroles devaient être long-temps étudiées pour que leur portée fût entièrement mesurée, mais qui, plus tard, prouvaient aux gens réfléchis l’étonnante profondeur de son âme et la puissance de son esprit. Enfin, il accabla Birotteau en lui disant : que « ces choses l’étonnaient d’autant plus, qu’il ne s’en serait jamais aperçu sans la confession de son frère ; il attribuait ce défaut d’intelligence à ses occupations sérieuses, à ses travaux, et à la tyrannie de certaines pensées élevées qui ne lui permettaient pas de regarder aux détails de la vie. » Il lui fit observer, mais sans avoir l’air de vouloir censurer la conduite d’un homme dont l’âge et les connaissances méritaient son respect, que « jadis les solitaires songeaient rarement à leur nourriture, à leur abri, au fond des thébaïdes où ils se livraient à de saintes contemplations, » et que, « de nos jours, le prêtre pouvait par la pensée se faire partout une thébaïde. » Puis, revenant à Birotteau, il ajouta : que « ces discussions étaient tout nouvelles pour lui. Pendant douze années rien de semblable n’avait eu lieu entre mademoiselle Gamard et le vé-