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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

autant qu’un railleur peut aimer quelqu’un, faisait, quinze jours après le convoi, partie des amis groupés dans l’atelier. En ce moment, la servante entra brusquement et remit à Joseph cette lettre apportée, dit-elle, par une vieille femme qui attendait une réponse chez le portier.

« Monsieur,

Vous à qui je n’ose donner le nom de frère, je dois m’adresser à vous, ne fût-ce qu’à cause du nom que je porte…

Joseph tourna la page et regarda la signature au bas du dernier recto. Ces mots : comtesse Flore de Brambourg, le firent frissonner, car il pressentit quelque horreur inventée par son frère.

— Ce brigand-là, dit-il, ferait le diable au même ! Et ça passe pour un homme d’honneur ! Et ça se met un tas de coquillages autour du cou. Et ça fait la roue à la cour au lieu d’être étendu sur la roue ! Et ce roué se nomme monsieur le comte !

— Et il y en a beaucoup comme ça ! dit Bixiou.

— Après ça ! cette Rabouilleuse mérite bien d’être rabouillée à son tour, reprit Joseph, elle ne vaut pas la gale, elle m’aurait fait couper le cou comme à un poulet, sans dire : Il est innocent !…

Au moment où Joseph jetait la lettre, Bixiou la rattrapa lestement et la lut à haute voix…

» Est-il convenable que madame la comtesse Bridau de Brambourg, quels que puissent être ses torts, aille mourir à l’hôpital ? Si tel est mon destin, si telle est la volonté de monsieur le comte et la vôtre, qu’elle s’accomplisse ; mais alors, vous qui êtes l’ami du docteur Bianchon, obtenez-moi sa protection pour entrer dans un hôpital. La personne qui vous apportera cette lettre, monsieur, est allée onze jours de suite à l’hôtel de Brambourg, rue de Clichy, sans pouvoir obtenir un secours de mon mari. L’état dans lequel je suis ne me permet pas de faire appeler un avoué afin d’entreprendre d’obtenir judiciairement ce qui m’est dû pour mourir en paix. D’ailleurs, rien ne peut me sauver, je le sais. Aussi, dans le cas où vous ne voudriez pas vous occuper de votre malheureuse belle-sœur, donnez-moi l’argent nécessaire pour avoir de quoi mettre fin à mes jours ; car, je le vois, monsieur votre frère veut ma mort, il l’a toujours voulue. Quoiqu’il m’ait dit qu’il avait trois moyens sûrs pour tuer une femme, je n’ai pas eu l’intelligence de prévoir celui dont il s’est servi.