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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

les Arts, elle voulut le libérer de ses dettes. La pauvre femme, qui tenait la maison avec les gains de son bureau de loterie, se gardait bien de jamais demander un liard à Joseph. Aussi n’avait-elle pas d’argent ; mais elle comptait sur le bon cœur et sur la bourse de Philippe. Elle attendait, depuis trois ans, de jour en jour, la visite de son fils ; elle le voyait lui apportant une somme énorme, et jouissait par avance du plaisir qu’elle aurait à la donner à Joseph, dont l’opinion sur Philippe était toujours aussi invariable que celle de Desroches.

À l’insu de Joseph, elle écrivit donc à Philippe la lettre suivante :

« À Monsieur le comte de Brambourg.

« Mon cher Philippe, tu n’as pas accordé le plus petit souvenir à ta mère en cinq ans ! Ce n’est pas bien. Tu devrais te rappeler un peu le passé, ne fût-ce qu’à cause de ton excellent frère. Aujourd’hui Joseph est dans le besoin, tandis que tu nages dans l’opulence ; il travaille pendant que tu voles de fêtes en fêtes. Tu possèdes à toi seul la fortune de mon frère. Enfin, tu aurais, à entendre le petit Borniche, deux cent mille livres de rente. Eh ! bien, viens voir Joseph ? Pendant ta visite, mets dans la tête de mort une vingtaine de billets de mille francs : tu nous les dois, Philippe ; néanmoins, ton frère se croira ton obligé, sans compter le plaisir que tu feras à ta mère

Agathe Bridau (née Rouget). »

Deux jours après, la servante apporta dans l’atelier, où la pauvre Agathe venait de déjeuner avec Joseph, la terrible lettre suivante :

« Ma chère mère, on n’épouse pas mademoiselle Amélie de Soulanges en lui apportant des coquilles de noix, quand, sous le nom de comte de Brambourg, il y a celui de

Votre fils,
Philippe Bridau. »

En se laissant aller presque évanouie sur le divan de l’atelier, Agathe lâcha la lettre. Le léger bruit que fit le papier en tombant ; et la sourde mais horrible exclamation d’Agathe, causèrent un sursaut à Joseph qui, dans ce moment, avait oublié sa mère, car il brossait avec rage une esquisse, il pencha la tête en dehors de sa