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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

de la Garde, se vit désigné dans l’Almanach sous le nom de comte de Brambourg, il hanta beaucoup la maison du lieutenant-général d’artillerie comte de Soulanges, en faisant la cour à la plus jeune fille, mademoiselle Amélie de Soulanges. Insatiable et appuyé par les maîtresses de tous les gens influents, Philippe sollicitait l’honneur d’être un des aides-de-camp de Monseigneur le Dauphin. Il eut l’audace de dire à la Dauphine « qu’un vieil officier blessé sur plusieurs champs de bataille et qui connaissait la grande guerre, ne serait pas, dans l’occasion, inutile à Monseigneur. » Philippe, qui sut prendre le ton de toutes les courtisaneries, fut dans ce monde supérieur ce qu’il devait être, comme il avait su se faire Mignonnet à Issoudun. Il eut d’ailleurs un train magnifique, il donna des fêtes et des dîners splendides, en n’admettant dans son hôtel aucun de ses anciens amis dont la position eût pu compromettre son avenir. Aussi fut-il impitoyable pour les compagnons de ses débauches. Il refusa net à Bixiou de parler en faveur de Giroudeau qui voulut reprendre du service, quand Florentine le lâcha.

— C’est un homme sans mœurs ! dit Philippe.

— Ah ! voilà ce qu’il a répondu de moi, s’écria Giroudeau, moi qui l’ai débarrassé de son oncle.

— Nous le repincerons, dit Bixiou.

Philippe voulait épouser mademoiselle Amélie de Soulanges, devenir général, et commander un des régiments de la Garde Royale. Il demanda tant de choses, que, pour le faire taire, on le nomma commandeur de la Légion-d’Honneur et commandeur de Saint-Louis. Un soir, Agathe et Joseph, revenant à pied par un temps de pluie, virent Philippe passant en uniforme, chamarré de ses cordons, campé dans le coin de son beau coupé garni de soie jaune, dont les armoiries étaient surmontées d’une couronne de comte, allant à une fête de l’Elysée-Bourbon ; il éclaboussa sa mère et son frère en les saluant d’un geste protecteur.

— Va-t-il, va-t-il, ce drôle-là ? dit Joseph à sa mère. Néanmoins il devrait bien nous envoyer autre chose que de la boue au visage.

— Il est dans une si belle position, si haute, qu’il ne faut pas lui en vouloir de nous oublier, dit madame Bridau. En montant une côte si rapide, il a tant d’obligations à remplir, il a tant de sacrifices à faire, qu’il peut bien ne pas venir nous voir, tout en pensant à nous.