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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

— Pars pour l’Amérique avec quarante mille francs, je saurai me débarrasser de ce sauvage-là, je te rejoindrai, ce sera bien plus sage…

— Que penserait-on de moi ? s’écria-t-il poussé par le préjugé des Disettes. Non. D’ailleurs, j’en ai déjà enterré neuf. Ce garçon-là ne me paraît pas devoir être très fort : il est sorti de l’École pour aller à l’armée, il s’est toujours battu jusqu’en 1815, il a voyagé depuis en Amérique ; ainsi, mon mâtin n’a jamais mis le pied dans une salle d’armes, tandis que je suis sans égal au sabre ! Le sabre est son arme, j’aurai l’air généreux en la lui faisant offrir, car je tâcherai d’être l’insulté, et je l’enfoncerai. Décidément cela vaut mieux. Rassure-toi : nous serons les maîtres après demain.

Ainsi le point d’honneur fut chez Max plus fort que la saine politique. Revenue à une heure chez elle, Flore s’enferma dans sa chambre pour y pleurer à son aise. Pendant toute cette journée, les Disettes allèrent leur train dans Issoudun, où l’on regardait comme inévitable un duel entre Philippe et Maxence.

— Ah ! monsieur Hochon, dit Mignonnet accompagné de Carpentier qui rencontrèrent le vieillard sur le boulevard Baron, nous sommes très inquiets, car Gilet est bien fort à toute arme.

— N’importe, répondit le vieux diplomate de province, Philippe a bien mené cette affaire… Et je n’aurais pas cru que ce gros sans-gêne aurait si promptement réussi. Ces deux gaillards ont roulé l’un vers l’autre comme deux orages…

— Oh ! fit Carpentier, Philippe est un homme profond, sa conduite à la Cour des Pairs est un chef-d’œuvre de diplomatie.

— Hé ! bien, capitaine Renard, disait un bourgeois, on disait qu’entre eux les loups ne se mangeaient point, mais il paraît que Max va en découdre avec le colonel Bridau. Ça sera sérieux entre gens de la vieille Garde.

— Vous riez de cela, vous autres. Parce que ce pauvre garçon s’amusait la nuit, vous lui en voulez, dit le commandant Potel. Mais Gilet est un homme qui ne pouvait guère rester dans un trou comme Issoudun sans s’occuper à quelque chose !

— Enfin, messieurs, disait un quatrième, Max et le colonel ont joué leur jeu. Le colonel ne devait-il pas venger son frère Joseph ? Souvenez-vous de la traîtrise de Max à l’égard de ce pauvre garçon.

— Bah ! un artiste, dit Renard.