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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Monsieur Hochon avait déjà fait savoir le départ de mademoiselle Brazier à Philippe Bridau, qui se leva de table chez monsieur Mignonnet pour courir à la place Saint-Jean ; car il devina parfaitement le but de cette habile stratégie. Quand Philippe se présenta pour entrer chez son oncle, Kouski lui répondit par une croisée du premier étage que monsieur Rouget ne pouvait recevoir personne.

— Fario, dit Philippe à l’Espagnol qui se promenait dans la Grande-Narrette, va dire à Benjamin de monter à cheval ; il est urgent que je sache ce que deviendront mon oncle et Maxence.

— On attelle le cheval au berlingot, dit Fario qui surveillait la maison de Rouget.

— S’ils vont à Vatan, répondit Philippe, trouve-moi un second cheval, et reviens avec Benjamin chez monsieur Mignonnet.

— Que comptez-vous faire ? dit monsieur Hochon qui sortit de sa maison en voyant Philippe et Fario sur la Place.

— Le talent d’un général, mon cher monsieur Hochon, consiste, non-seulement à bien observer les mouvements de l’ennemi, mais encore à deviner ses intentions par ses mouvements, et à toujours modifier son plan à mesure que l’ennemi le dérange par une marche imprévue. Tenez, si mon oncle et Maxence sortent ensemble dans le berlingot, ils vont à Vatan ; Maxence lui a promis de le réconcilier avec Flore qui fugit ad salices ! car cette manœuvre est du général Virgile. Si cela se joue ainsi, je ne sais pas ce que je ferai ; mais j’aurai la nuit à moi, car mon oncle ne signera pas de procuration à dix heures du soir, les notaires sont couchés. Si, comme les piaffements du second cheval me l’annoncent, Max va donner à Flore des instructions en précédant mon oncle, ce qui paraît nécessaire et vraisemblable, le drôle est perdu ! Vous allez voir comment nous prenons une revanche au jeu de la succession, nous autres vieux soldats… Et, comme pour ce dernier coup de la partie il me faut un second, je retourne chez Mignonnet afin de m’y entendre avec mon ami Carpentier.

Après avoir serré la main à monsieur Hochon, Philippe descendit la Petite-Narrette pour aller chez le commandant Mignonnet. Dix minutes après, monsieur Hochon vit partir Maxence au grand trot, et sa curiosité de vieillard fut alors si puissamment excitée, qu’il resta debout à la fenêtre de sa salle, attendant le bruit de la vieille demi-fortune qui ne se fit pas attendre. L’impatience de Jean-Jacques lui fit suivre Maxence à vingt minutes de distance. Kouski,